1. Indra, un Zeus védique.
Indra, fils de Dyaus et de Prithivi, est le roi des Deva (=dieux). Il est le Souverain céleste, le Maître du Ciel. On dit de lui qu’ « il est fait de tous les dieux réunis. C’est pourquoi il est le plus grand » (Avyakta Upanishad, 5, 1). Indra incarne littéralement la puissance divine. La Kena Upanishad (III) fait d’Indra le premier témoin de la Réalité ultime, le Brahman apparu sous la forme d’un brin d’herbe qu’Agni (=le Feu) ne peut consumer et que Vayû (=le Vent) ne peut déraciner. C’est de la déesse Umâ qu’Indra obtiendra la révélation de la nature de la Conscience universelle. Dieu omniprésent dans la création de la vie sous toutes ses formes et dans tous les plans d’existence, que ce soit sur la Terre ou dans le Cosmos, Indra est souvent comparé à Zeus-Jupiter, dont il partage le principal attribut : le foudre. De fait, l’instar d’Agni, Indra apparaît comme l’une des cinq formes naturelles du feu, celle de la puissance de la foudre, de l’énergie électrique. Nommé le « Lanceur d’Eclairs », Indra est aussi parfois assimilé à un dieu de l’Orage, du moins sous la forme divine atténuée qui sera la sienne à la période classique. Il semble que l’on assimile aussi parfois Indra à Surya (=le Soleil). Indra est, en outre, invoqué dans près d’un quart des hymnes du Rig Veda.
2. Un dieu guerrier.
2.1. Indra apparaît aussi et surtout comme le grand guerrier du panthéon védique. Il a, en outre, le pouvoir de ressusciter les guerriers tombés au combat. « Toujours jeune, Indra incarne les vertus de la jeunesse, l’héroïsme, la générosité, l’exubérance. Son attitude est celle de l’action, du service, mais il est aussi partisan de l’usage de la force qui mène au pouvoir, à la victoire, au butin. Il conduit les guerriers et les protège de sa foudre, et de son arc, l’arc-en-ciel. » (Daniélou).
2.2. Combattant des forces obscures, il est dit d’Indra qu’il surpasse en valeur Vala, le démon de l’Obscurité, par les seuls pouvoirs du Verbe –un hymne- appuyé par un rituel.
2.3. Le Veda rappelle également qu’Indra a vaincu et annihilé le dragon (ou serpent Vritra), et que par ce geste, le dieu -aidé par Vishnu, selon une version vraisemblablement tardive de ce récit- a donné forme au Chaos et a déclenché le processus de différenciation des phénomènes et de leur évolution (séparation de la terre et des eaux, des régions supérieures et des enfers…). Depuis, chaque matin, avec le soleil, la création se renouvelle.
2.4. Selon une certaine tradition, Indra aurait vaincu Krishna désigné, dans ce cas, comme un Asura, un démon, un anti-dieu. De fait, un hymne védique assure qu’Indra massacra 50.000 « krishna », nom qui désigne peut-être, dans ce cas, nom une démultiplication du dieu Krishna, avatar de Vishnu, mais des populations au teint sombre de la vallée indo-gangétique, assimilées aux Drâvida (=Dravidiens) ou aux Munda. Il s’agirait donc là d’une transposition d’un combat qui aurait opposé les Aryas indo-européens aux Drâvida ou/et aux Munda. Cette thèse se révèle toutefois assez hypothétique.
3. Les noms d’Indra
3.1. Un rapprochement étymologique fait d’Indra le radical du mot Indriyam qui signifie “organe des sens”. Les outils sensoriels dont l’homme dispose, sont donc le transfert des pouvoirs du dieu Indra.
3.2. On trouve aussi le nom d’Indra présent dans des composés pour marquer la suprématie du récipiendaire : Narendra (l’Indra des Hommes), Gajendra (l’Indra des Eléphants)...
3.4. On nomme également Indra, Shakra (=le Puissant).
3.5. Indra est aussi nommé Purandara, pour indiquer son rôle de Souverain des dieux.
3.6. A noter que l’on nomme Indrajâla ou Indrajalam, l’art magique, le travail du magicien.
4. De Varuna-Ouranos à Indra-Zeus ?
Lorsque Varuna, qui fut aussi souverain des dieux, a commencé à perdre de sa toute-puissance, Indra s’est progressivement substitué à lui en tant que Maître du Ciel, dieu du Firmament. Ainsi, les récits qui se rapportent à Indra concernent sa naissance et ses premiers exploits avec Varuna. Face à ce dernier, Indra incarne le pouvoir divin immédiat, actif, balayant ses ennemis démoniaques avec sa foudre ou soutenant les Aryas dans les batailles qu’ils mènent. Il est dit aussi que si Indra est le gardien de l’Est, Varuna, lui, apparaît comme le gardien de l’Ouest. Le rapprochement entre Varuna et Ouranos a, certes, été facilité par l’évidente parenté étymologique, et la succession de Varuna, en tant que souverain des dieux, assurée par Indra, a aussi favorisé l’assimilation de ce dernier à Zeus (petit-fils d’Ouranos dans la tradition hellénique). Toutefois, selon certains spécialistes, la pure assimilation d’Indra avec Zeus et de Varuna avec Ouranos, serait hasardeuse, voire simpliste. Nous laisserons aux experts le soin de trancher cette question.
5. Visualisation.
On décrit Indra comme gigantesque et redoutable, le teint rougeâtre, les cheveux fauves et le ventre distendu par l’absorption de la liqueur Soma. Il tient dans ses quatre mains (parfois deux) diverses armes (vajra, la foudre façonnée par Tvashtri, mais également d’autres armes telles qu’un arc, un filet ou un crochet destiné à capturer ses ennemis) avec lesquelles il mène le combat contre les Asura. Il est parfois représenté les yeux bandés ou encore avec une fleur de lotus. Le foudre (vajra) n’en constitue pas moins son principal attribut. Indra a pour monture un éléphant blanc à quatre (ou six) défenses que l’on nomme Airavata. Mais on représente aussi parfois Indra monté sur un char scintillant tiré par deux chevaux bruns.
6. Le Soma.
Indra est, en effet, connu pour son goût immodéré de l’enivrant Soma, boisson indispensable aux rites sacrificiels védiques. Lorsqu’il a bu, Indra devient gigantesque et emplit le Ciel et la Terre. Son ventre est comme un lac immense. Il est alors capable de susciter le lever du soleil et d’accomplir de hauts faits.
7. Libation de Midi en l’honneur d’Indra (Atharva Veda, 7, 72).
Levez-vous, ô Dieux, contemplez d’en haut
La part rituelle d’Indra,
Soit que vous versiez la libation cuite,
Soit que vous vous enivriez de la crue.
La libation est cuite : approche-t-en, ô Indra ;
Le soleil a atteint le milieu de sa route.
Autour de toi s’assoient tes amis avec leurs trésors,
Comme des chefs de famille autour du chef de la tribu.
Il est cuit, je pense, dans la mamelle, cuit au feu,
Il est bien cuit, ce service divin que je célèbre :
Le petit-lait du pressurage de midi,
Bois-en, ô toi qu’arme la foudre, et agrée-le
En accomplissant de nombreux exploits.
8. Swarga, le Paradis d’Indra.
Le paradis d’Indra se situe sur le mont Meru. Plus précisément, le domaine d’Indra et de son épouse Indrâni, se trouvent à Swarga, un morceau de Ciel entouré de nuages qui tourne autour du sommet du mont Meru. Swarga peut se déplacer n’importe où selon les instructions d’Indra. Là, à Swarga, Indra et Indrâni assistent aux danses des Apsaras et des Gandharvas. Si Indrâni est généralement considérée comme l’épouse d’Indra, la littérature védique reprend également parfois le nom de Sitâ, épouse de Rama-Vishnu dans le Ramayana.
9. Le compagnon du Vent.
A noter aussi que dans le Bhâgavata Purâna, il est dit que c’est Vâyu (=le Vent) qui décapita le mont Meru par la puissance de ses bourrasques et que c’est ainsi que le sommet de cette montagne devint l’île de Lankâ. De fait, de par sa nature, Indra est un proche compagnon de Vâyu, le dieu du Vent, avec lequel il partage la souveraineté dans le domaine aérien. Ainsi dit-on aussi que les Marut (les Vents) constituent les compagnons d’Indra auxquels celui-ci commande. Le nombre des Marut varie (11, 20...) mais on en compte généralement 49. Ils sont les gardiens du Soma, la boisson de prédilection d’Indra. Il est dit aussi que les Marut naquirent du ventre de Ditî après qu’Indra eut divisé l’embryon qu’elle portait en sept parties et chacune de celles-ci en sept autres. Ditî voulait donner naissance à un fils capable de vaincre Indra et voilà pourquoi celui-ci les subdivisa. On dit aussi, plus généralement, que les huit Vasu, qui personnifient les phénomènes naturels, sont les assistants d’Indra.
10. Un dieu de la Pluie.
Si à l’époque des Veda, Indra est un dieu guerrier particulièrement populaire, il perdra plus tard beaucoup de son aura (notamment au profit de Vishnu), l’hindouisme tardif ne considérant plus ce dieu comme un modèle de l’éthique guerrière. On va jusqu’à lui reprocher la manière dont il a tué le serpent Vritra et l’on ajoute même que Vritra était en réalité un brahman, le meurtre d’un brahman étant jugé abominable. On dit encore que c’est par traîtrise qu’Indra aurait eu raison de Namuci. Ce dernier avait arraché à Indra la promesse de n’être tué ni de jour ni de nuit, ni par de l’humide ni par du sec. Aussi Indra lui trancha-t-il la tête au crépuscule avec de l’écume qui ne s’avéra ni humide ni sèche. On accuse aussi Indra d’avoir tué son demi-frère, Trishiras et qu’il aurait séduit Ahalya, l’épouse de Siddharta Gautama, le Bouddha. Désormais présenté comme traître, fratricide et adultère, Indra sera nommé « Trois Fois Pécheur » par les Purana et se verra ravalé, à la période classique, au rang de dieu de la Pluie. Le Mahabharata, qui présente le héros Arjuna comme le fils spirituel d’Indra, conte aussi comment la vache Surabhi obtînt d’Indra qu’il fasse pleuvoir averse afin de contraindre des paysans sans scrupules d’arrêter de maltraiter un taurillon. Le foudre ou vajra, à l’origine attribut martial de l’ancien souverain céleste védique, ne sera plus, désormais, avec le tonnerre, qu’un simple annonciateur de la pluie. On voit aussi la déesse Shri, associée à Vishnu dans des récits tardifs, également associée à Indra dans des mythes qui content que c’est en s’asseyant près d’Indra que Shri, déesse de la Fertilité, encourage le dieu à déverser des pluies abondantes afin de favoriser les récoltes.
11. Indra, un dieu en perte d’influence.
Indra va donc perdre de son aura et de son influence, notamment au profit de Vishnu et de ses avatars. Plusieurs histoires donnent d’ailleurs désormais de lui une image de vaincu, de divinité impuissante.
Ainsi est-il dit que dans l’âge de Vertu nommé Tretâ-Yuga, il arriva qu’Indra fut vaincu par le roi Bali, celui-ci, par ses austérités, parvenant à étendre son empire sur les trois mondes de l’Œuf cosmique. Ceci suscita l’intervention de Vishnu sous la forme du nain Vâmana. A noter toutefois que dans une version shivaïte d’une histoire assez semblable, par certains aspects, à celle de Bali, les dieux s’irritent de voir la puissance du roi Sâgara grandir sans cesse, car son armée conquiert tous les territoires foulés par un cheval qui devra, après un an, être livré au sacrifice. Indra décide alors d’enlever le cheval et de le cacher dans une fosse si profonde qu’elle correspond à l’Océan à sec. C’est le début d’une histoire qui aboutira à la création du Gange sur terre. Dans ce cas, l’action d’Indra est présentée de manière plus positive.
Mais il est dit aussi qu’Indra fut vaincu par le démon Râvana et amené sur l’île de Lanka par Indrajit (=Celui qui est englouti dans la bataille). C’est à l’occasion de cet échec face à Râvana qu’Indra rencontra un paon. Voyant Indra courir rapidement, le paon lui demanda la raison de cette fuite. Indra lui répondit que le démon Râvana était à ses trousses et que, malgré ses armes, il préférait ne pas s’exposer inutilement. Lorsque Râvana déboula, le paon déploya rapidement sa queue, cachant Indra, et le démon passa sans voir le dieu. A cette époque, les paons mâles étaient aussi ternes que les femelles, seule la longueur de la queue les distinguait. Aussi, pour remercier l’oiseau, Indra lui offrit des plumes aux couleurs merveilleuses que nous lui connaissons. On dit également que le paon devînt le héraut d’Indra et que son cri perçant annonce l’orage.
Il est dit aussi que Râma, avatar de Vishnu et vainqueur du démon Râvana, est le dépositaire des armes d’Indra, de même que de son char et qu’il reçoit l’assistance de son cocher. Sîta, reprise comme épouse d’Indra dans la littérature védique, est devenue l’épouse de Râma dans le Ramayana. Enfin, le combat de Râma contre Valin, le roi des singes usurpateur, rappelle le combat d’Indra contre Namuci.
On voit donc bien qu’Indra s’efface peu à peu devant Vishnu et ses avatars.
12. Indra au pays des Kuru.
12.1. La Tradition rapporte que Kuru émit le vœu que tous les hommes qui mourraient sur la terre de Kurukshetra soient automatiquement admis dans le séjour céleste. Il paraît que ce vœu aurait fait rire Indra mais que le dieu aurait finalement accepté la demande de Kuru. Mais les autres dieux se récrièrent, prétendant qu’il n’était pas possible d’entrer dans le séjour divin sans avoir auparavant offert des sacrifices. Alors Indra dit qu’iraient directement en son paradis tous ceux qui termineraient leur vie sur la terre du Kurukshetra alors qu’ils seraient en prière ou tués durant la bataille.
12.2. Indraprashtha (ou Indrasthâna) est l’une des capitales du pays des Kuru (Kurukshtra). Située dans la banlieue sud de l’actuelle Delhi (aujourd’hui, Indrapat), entre l’ancien fort de Fîrûzâbâd et la tombe de Humâyûn, elle fut également appelée Brihatsthalâ, la Brillante, du temps où Yudishthira en était le souverain. La cité changea souvent de place, sans doute en raison des débordements de la Yamunâ, et fut plusieurs fois abandonnée et reconstruite. Selon le Padma-purâna, son nom viendrait de ce qu’Indra aurait fait à cet endroit, sur la rive droite de la Yamunâ, plusieurs sacrifices et offert des présents aux brahmanes en présence de Vishnu-Nârâyana. La Tradition rapporte que Krishna –un autre avatar de Vishnu- lui-même aurait alors demandé à Vishvakarma de bâtir Indraprashta à l’image d’Amarâvatî, la capitale céleste d’Indra sur le mont Meru. Il est dit que Cette cité fut équipée d’armes formidables, appelées Shataghnî, capables de tuer mille guerriers à la fois, de mécanismes divers et d’armes de fer semblables à de grandes roues. Lorsqu’il envisagea de diviser son royaume en deux pour sauver la paix, le roi Dhritarâshtra donna aux Pândava le pays d’Indraprashta. Il est dit qu’un bain pris à Indrapat, dans les eaux de la Yamunâ, apporte aux fidèles de nombreux bienfaits.
13. Indra dans le bouddhisme.
13.1. L’un des trois bodhisattvas du lamaïsme, souvent représenté sous une forme terrible, est nommé Vajrapani, soit le « Porteur du Vajra ». Son nom tibétain est Chanag Dorjé. Il s’agit d’une métamorphose bouddhique du dieu védique Indra. Le serpent, symbolisant l’eau et la fertilité, est son attribut.
13.2. Dans la tradition ceylanaise (Sri Lanka), il est dit que le souverain des dieux, nommé Sakka mais que l’on peut vraisemblablement apparenter à Indra, se tenait au chevet du Bouddha lorsqu’il fut informé par ce dernier que Vijaya avait débarqué dans l’île, identifiée à l’actuel Sri Lanka, avec 700 combattants et qu’il devait le protéger, de même que l’île elle-même, afin que le bouddhisme puisse s’y établir. Sakka-Indra chargea alors Upulvan-Varuna de protéger l’île.
Eric TIMMERMANS
Bruxelles, le 19 avril 2010.
Sources : L’empreinte sacrée du Bouddha, E.F.C. Ludowyk, Plon, 1958 / Les Cinq Livres de la Sagesse – Pancatantra, Alain Porte, Editions Philippe Picquier / Le Védisme. L’éveil de la spiritualité indienne. Bernard Baudouin, Editions de Vecchi, 1997 / L’Inde mystique et légendaire, Louis Frederic, Editions du Rocher, 1994.