1. Itzamna Dieu Suprême créateur de la tradition maya ?
En 1950 et en 1970, Thompson traduit le nom d’Itzam Na par Maison de l’Iguane, traduction que conteste Claude-François Baudez dans son histoire de la religion des Mayas (p.360 et 361).
Itzamna est le Dragon Céleste et l’une des principales divinités supérieures du panthéon maya, vraisemblablement même la première du point de vue du rang, si l’on en croit certaines sources (Thompson) : Itzamna est ainsi souvent représenté sur un trône céleste régnant sur les autres dieux.
Dans les documents d’époque coloniale, Itzamna, identifié dès le XVIe siècle, est assimilé au Seigneur Suprême des Cieux,
Toutefois, il semble qu’à l’origine ce rôle était attribué à un autre dieu nommé Hunab Ku, qui ne serait autre que le père d’Itzamna et l’époux de la déesse Ix Chel. D’autres sources désignent ce dieu sous le vocable de Hunab (=unique) Izamana, soit un aspect d’Itzamna.
Ce dieu Hunab Ku, qui ne pouvait, dit-on, être représenté ( !), était limité dans le rôle exclusif de créateur. Autrement dit, dès que fut accomplie son œuvre créatrice, plus rien ne rattacha ce dieu à l’humanité, et c’est son fils, Itzamna (ou Itzamna sous une autre forme) qui, aux yeux de cette dernière, assuma le rôle de Dieu Suprême Créateur.
Itzamna apparaîtrait donc comme l’Unique, la divinité unificatrice par excellence, le dieu qui réunit les contraires, les grandes oppositions cosmiques, le ciel diurne et le ciel nocturne. Ainsi Itzamna est-il aussi associé à l’Arbre du Monde qui réunit le Ciel, la Terre et les Enfers (monde souterrain). Itzamna est l’Oiseau représentant les Cieux, de même que le Serpent incarnant la Terre. Il est aussi le Seigneur des Enfers.
En outre, cette double référence à l’Oiseau et au Serpent n’est pas sans rappeler Quetzalcoatl, le célèbre « Serpent à Plumes » des Aztèques qui fut vraisemblablement intégré dans le panthéon maya sous le nom de Kukulcan, ce dernier n’étant pas, contrairement à Itzamna, un dieu spécifiquement maya.
Itzamna, créateur de toutes choses, a également édicté les lois du monde maya. Il est aussi l’inventeur de l’Ecriture (ce qui est confirmé par les codex), de l’Agriculture, des Calendriers et de bien d’autres choses utiles à l’humanité.
Itzamna serait également connu sous le nom de « dieu D » selon la classification typologique de Paul Schellhas (1897) qui, arbitrairement et avec une extrême prudence, désigne les dieux mayas par une lettre, usage qui s’est maintenu parmi les « mayanistes » contemporains.
Ce Dieu D apparaît effectivement dans les codex, sous l’aspect d’un vieillard édenté et est, avec G, N et L, l’un des dieux âgés du panthéon maya.
« Il porte devant le front un signe akbal d’où pend une guirlande. » En outre, le glyphe de son nom reproduit sa tête, précédée du signe akbal (= noir, obscurité) et guirlande, et suivie du postfixe na. (Baudez, Une histoire de la religion des Mayas, p.363).
« Le nom d’Itzam Na serait composé à partir d’itz, un emprunt bien hypothétique au nahuatl itztli, « obsidienne ». Cette interprétation permet à Taube de voir dans le cartouche avec akbal un miroir d’obsidienne utilisé dans la divination. Akbal est en fait très largement utilisé dans l’iconographie pour indiquer ce qui est associé à la mort et à l’inframonde, mais n’est pas suffisant pour identifier les formes classiques de dieu D. » (Idem, p.364).
De fait, si la description du dieu D correspond bien à celle d’Itzamna telle que nous l’avons décrit, Claude-François Baudez doute, quant à lui, qu’Itzam Na ait figuré dans les codex sous les traits de ce dieu D, équivalence établie sur base de divers arguments avancés par Thompson.
« La principale raison qui me fait douter du dieu D comme Itzam Na est l’absence dans ses traits comme dans son glyphe de quoique ce soit qui évoquerait sa nature cosmique, céleste ou terrestre. Je partage l’opinion de Seler qui, après avoir rencontré au cours de son article diverses difficultés au sujet de l’identité d’Itzam Na, finit par écrire : « Il est probable que le nom d’Itzam Na avait un sens plus général et que, avec quelques adjectifs (adjuncts) complémentaires, il était utilisé pour différents dieux. Landa lui-même nomme, outre un Itzamna proprement dit, un Itzamna Kauil et un Kinich Ahau Itzamna. Ce dernier, nous l’avons vu, n’est qu’une forme du dieu solaire. Le second, Itzamna Kauil paraît, si l’on en croit le dessin du codex Tro [Madrid], être identique au dieu avec le signe kan [le dieu du maïs]. » (Idem, p.364).
2. Itzamna, une divinité unique contestée.
Selon certains auteurs (Baudez), l’assimilation du nom d’Itzamna à l’idée d’un dieu unique créateur suprême avait surtout l’avantage de flatter le monothéisme de l’envahisseur chrétien.
Ainsi, la Revelacion de Valladolid y Tiquinbalon prétend qu’avant l’introduction du polythéisme, assimilé par les chrétiens à l’idolâtrie, les Mayas vénéraient une divinité unique nommée Hunab Izamana que nous reprenons plus haut sous le vocable Hunab Ku.
« Pour Las Casas, Izona (Itzamna) était Dieu le Père, créateur de toutes choses. Dans le dictionnaire de Vienne, il apparaît comme le dieu principal, incorporel et créateur de toutes choses. » (Une histoire de la religion des Mayas, Baudez, p.360).
Cette divinité prétendument « unique » aurait été connue sous de multiples noms tels que Itzamna Kauil (=Récolte Abondante), Itzamna T’ul (=Lapin, un aspect malveillant du ciel qui retient les pluies et provoque la sécheresse), Itzamna Kinich Ahau (=Seigneur à visage de ciel, soit le Soleil), Itzamna Kabul (=Créateur), Itzamna Cab ou Cab Ain (=Terre ou Terre Crocodile), Bolon Ts’akab (=Neuf ou Nombreuses Générations).
Malgré les réserves de Baudez à l’égard de la traduction réalisée par Thompson –qui, en outre, identifie, en 1939, un des aspects d’Itzamna au « Dieu K » soit Bolon Ts’akab- du nom d’Itzamna par « maison de l’iguane », dont nous ne reprendrons pas ici toute l’argumentation étymologique, voici ce que l’auteur ajoute à propos du caractère prétendument monothéiste d’Itzamna: « il est fort probable que Thompson ait eu raison de penser que Itzam Na/Itzam Cab ait formé une paire correspondant à la représentation Ciel/Terre de l’époque classique. Si Itzam Na désignait au début du XVIe siècle le dieu du ciel ou le ciel, on peut s’attendre qu’il ait pu acquérir un statut exceptionnel avec les missionnaires ; si ceux-ci cherchaient à faire dire aux Indiens le nom d’un dieu unique, créateur, qui correspondrait à « notre Père qui êtes aux cieux », le nom d’Itzam Na leur a été donné tout naturellement en réponse à leurs interrogations. » (Baudez, Une histoire de la religion des Mayas, p.362).
3. Visualisation et iconographie.
3.1. Sous sa forme anthropomorphe, Itzamna est représenté sous les traits d’un vieil homme édenté (ou doté d’une dent unique), aux joues creuses, au nez aquilin, aux yeux carrés comparables à ceux du dieu Soleil. Dans ses cheveux, il porte un bijou en forme de mollusque sortant de sa coquille et sur son front, il porte un genre de miroir en forme de fleur, retenu par un ruban orné de perles.
3.2. Le symbole du ruban perlé associé au motif floral est connu sous le nom de Itz qui signifie « nectar » ou encore « rosée ». Voilà pourquoi il est dit d’Itzamna qu’il est la Rosée du Ciel et des Nuages, eau sacrée utilisée par les Mayas pour leurs rituels et leurs cérémonies. Ainsi, sur plusieurs peintures, représente-t-on Itzamna sous la forme d’un prêtre distribuant la rosée à l’aide d’un nez en forme de serpent.
3.3. Sur les hauts plateaux centraux, Itzamna est représenté avec la figure d’un serpent.
3.4. Sur un verre maya de la période classique, un dessin montre les héros jumeaux du Popol Vuh, Hunahpu et Ixbalanque, saluant Itzamna dans son rôle de Seigneur des Enfers.
Eric TIMMERMANS©
Bruxelles, le 19 août 2010.
Sources : Grand dictionnaire des symboles et des mythes, Nadia Julien, Marabout, 1997 / The Mayan gods – Dante - The Maya World Publisher’s, Musée de Mérida, Mexico / Une histoire de la religion des Mayas, Claude-François Baudez, Albin Michel, 2002.