1. La Triple Macha.
Fille d’Etrange, lui-même fils d’Océan, Macha est, dans la tradition irlandaise, l’un des aspects de la Grande Déesse-Mère celtique. Le nom de Macha signifie littéralement La Plaine. Symboliquement liée au cheval, Macha peut être rapprochée de la Galloise Rhianon, de la déesse gallo-romaine Epona ou encore, de l’Irlandaise Dechtiré, mère de Cûchulainn, qui sont également en relation avec cet animal.
En tant que divinité associée à la première fonction sacerdotale, Macha prophétisera, sur base d’un songe, un grand massacre dans les rangs des hommes d’Irlande au cours du récit connu sous le nom de la Razzia des Vaches de Cooley et nommée Tain bô Cualngé en gaélique. La déesse se mit à parler au Brun de Cualngé, l’un des taureaux qui sont au centre du récit, et voici ce qu’elle lui dit : « Bien, ô malheureux Brun de Cualngé, fais attention, car les hommes d’Irlande vont venir à toi, et ils t’emmèneront dans leur camp si tu ne fais pas attention. » Elle prophétisera ensuite la mort des gens d’Irlande suivie de la mort du Brun de Cualngé lui-même.
La seconde Macha est dite « à la Crinière rouge » et constitue l’aspect guerrier (2ème fonction) de cette déesse, ce qui la rapproche de la Bodb-Morrigane, la déesse-corneille porteuse de crânes de guerriers morts (image qui n’est pas sans évoquer la déesse hindoue Kâlî) et dont Macha apparaît ici comme la sœur. A l’origine, trois rois se partageaient le pouvoir durant sept ans chacun, mais à la mort de l’un d’eux, Aed dit le Rouge, les deux autres refusèrent de voir sa fille Macha lui succéder. Celle-ci s’empara finalement du trône paternel, règnera en tyran et refusera à son tour de céder son privilège aux cinq enfants du deuxième roi décédé. Macha sortira gagnante du conflit sanglant qui s’en suivra. En définitive, elle épousera le troisième roi et, avec sa broche, tracera l’enceinte de sa ville : Emain Macha. Elle obligera les vaincus à bâtir sa forteresse. Cet aspect de Macha, notamment indiqué par la couleur rouge, correspond à sa fonction guerrière. Cette couleur rouge est également celle de la déesse Morrigane.
Enfin, Macha apparaît également comme représentant la troisième fonction productrice, l’épouse qui fait des miracles et agrandit immensément la richesse de son époux. Cette troisième Macha apparaît dans le récit de la Maladie des Ulates. Macha vint un jour s’occuper du ménage d’un paysan veuf nommé Crunnchu, dont elle portera, en outre, les enfants. Mais Crunnchu, pas très futé, eut un jour la mauvaise idée de vanter les pouvoirs de son épouse, si bien que Macha se trouva dans l’obligation de disputer une course avec les chevaux du roi d’Ulster Conchobar, alors qu’elle était enceinte. Elle accouchera de deux jumeaux –un garçon et une fille- après avoir emporté la course. En mourant, elle maudira les hommes d’Ulster pour ne pas s’être opposés au roi et ne pas lui avoir demandé d’interdire la course. Elle leur jettera un sort qui les obligera chaque année, durant cinq jours et cinq nuits, à subir les douleurs de l’enfantement à la date anniversaire de sa mort, et cela jusqu’à la neuvième génération. Seul le héros Cûchulainn échappera à la malédiction de Macha. Le lieu où Macha accoucha de ses jumeaux porta dès lors le nom d’Emain Macha (=Jumeaux de Macha).
Macha apparaît donc comme une déesse trifonctionnelle réunissant en elle le Sacré, le Guerrier et le Producteur. C’est la raison pour laquelle on la nomme la Triple Macha, manifestation de la Déesse-Mère cosmique originelle. On peut établir une parallèle avec la Triple Brighid, par exemple.
Emain Macha ou les « Jumeaux de Macha ».
Emain Macha est également le nom de la capitale des Ulates, soit du peuple de l’Ulster ancien. Aujourd’hui, Emain Macha porte le nom d’Emania ou Navan Fort, près d’Armagh, (dont le nom dérive d’Ard Macha, soit « Haute Macha » ou « Hauteur de Macha »). Les jumeaux de Macha se nomment Fial (sœur) et Fior (frère). Fial (=la Chaste) sera l’épouse de Lughaidh mac Iatha. Lorsque celui-ci l’aperçut nue dans son bain (où est-ce l’inverse ?), Fial en mourrut de honte (ce qui n’est pas sans évoquer l’histoire de Mélusine). Fior, quant à lui, est une figure apollinienne. Peut-être que la fête de la Dixième Nuit, attestée à Limoges, peut avoir été jadis une commémoration de la naissance du dieu Apollon Grannos, analogue à celle de l’Irlandais Fior dont le nom est associé aux quatre jours et aux cinq nuits durant lesquels les Ulates doivent subir les douleurs de l’enfantement, suite à la malédiction de Macha. Le site d’Emain Macha est d’ailleurs associé à une autre figure apollinienne nommée Conmhaol mac Eibhir. La naissance de Fior et de Fial est racontée dans la Neuvaine des Ulates et quelques récits convergents. A noter encore qu’Emain Macha constituait, à l’origine, le cœur sacré de l’Ulster. Ce n’est donc pas un hasard si saint Patrick, évangélisateur de l’Irlande, décida d’implanter à Armagh, qui était vraisemblablement un important sanctuaire druidique, le premier siège épiscopal de l’Irlande.
Eric TIMMERMANS
Bruxelles, le 2 août 2010.
Sources : Dictionnaire historique des Celtes, Maxi Poche Histoire, Pierre Norma, 2003 / Essai de dictionnaire des dieux, héros, mythes et légendes celtes, fascicule 1, Claude Sterckx, 1998 / La Razzia des vaches de Cooley, traduit de l’irlandais ancien, présenté et annoté par Christian-J. Guyonvarc’h, L’aube des peuples, Gallimard, 1994 / L’épopée celtique d’Irlande, Jean Markale, Petite Bibliothèque Payot, 1973 / Les Celtes – Histoire et dictionnaire, Venceslas Kruta, Robert Laffont, 2000 / Les Celtes – Les dieux oubliés, Marcel Brasseur, Terre de Brume Editions, 1996 / Nouveau dictionnaire de mythologie celtique, Jean Markale, Pygmalion, 1999.