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18 mars 2011 5 18 /03 /mars /2011 18:53

 

 

1. Ahriman-Angra Mainyu, première incarnation du Mal.

 

La doctrine fondamentale du zoroastrisme (ou mazdéisme, du nom du dieu Ahura Mazda), une religion dualiste née en Perse au 6ème siècle avant lère chrétienne et qui porte le nom de son prophète, Zoroastre ou Zarathoustra, est basée sur lopposition fondamentale entre deux principes indépendants : le bon, incarné par Spenta Mainyu (nom avestique d’Ahura Mazda, également nommé Ormazo, Ormuz, Ohrmazd) qui est le Grand Créateur, et le mauvais, incarné par Angra Mainyu (nom avestique d’Ahriman, Ahrimane ou Ariman) et qui représente lObscurité et les Ténèbres. Plus précisément encore, il est dit qu’Ahriman est la Source du Mal et qu’il est né de l’Obscurité, qu’il est un noir démon engendré par les Ténèbres (et non créé par Ahura Mazda, donc). Ainsi, face à Spenta Mainyu « se dresse Angra Mainyu (Ahriman), lEsprit du Mal, qui fait des efforts constants pour détruire le monde de vérité et nuire aux hommes et aux bêtes. » (Mythes perses, V.S. Sarkosh Curtis, p.20) Ahriman apparaît vraisemblablement comme l’une des premières, sinon la première, incarnation d’un « Mal absolu ». En effet, le monde maléfique qui se présentait jusque là de manière abstraite et morale, se concrétise donc. « Angra Mainyu « qui est pleinement mortifère, le daêva des daêva (Vidêvdât, 19, 1), acquiert une présence et une agressivité nouvelles : il nest plus lêtre quasiment abstrait, prototype du choix moral, il est le mal par nature, et chef dune multitude dêtres démoniaques et haineux : les daêva des Gâthâs, collectivité anonyme, deviennent ici des forces déterminées, personnalisées et se multiplient en une engeance innombrable. Les principaux dentre eux, les archidémons, sont les contreparties exactes des entités bonnes. » (Le Dieu du Mal, Hervé Rousseau, p.23-24).

 

2. Le « dieu bon », créateur du Mal ?

 

L’incarnation du Mal sous la forme d’Ahrimane /Angra Mainyu, n’est pas, bien évidemment, sans poser la question de l’origine dudit Mal. En clair, le créateur supposé « bon » et « bénéfique », en l’occurrence Ahura Mazda / Spenta Mainyu, a-t-il pu créer le Mal ou a-t-il pu, à tout le moins, le laisser s’engendrer ? « Ahura Mazda étant créateur universel, les deux esprits, Spenta Mainyu et Angra Mainyu, ne seraient-ils pas des créatures, originellement libres et indifférentes ? S’il est aisé de concevoir que l’esprit saint puisse provenir du Créateur (auquel plus tard il finira par s’identifier), cela est difficile à admettre de l’esprit mauvais, car ce serait rendre Dieu, au moins indirectement responsable du mal. Ou Dieu serait-il indifférent, au-delà du bien et du mal ? Si l’esprit mauvais n’est pas une créature, alors Ahura Mazda n’est pas créateur universel. » (Le Dieu du Mal, p. 15). La question de la création du Mal par le « bon dieu démiurge » se pose également dans le cadre chrétien. Comment expliquer, en effet, l’existence du Mal avant le péché originel, existence dont témoigne la présence d’un célèbre reptile dans un certain arbre… ? Ajoutons que tout comme Satan essaya de tenter Jésus, Ahrimane tenta, sans plus de succès d’ailleurs, de tenter Zoroastre. Oserais-je dire que la pomme ne tombe pas loin de l’arbre ?

 

3. Les légions d’Ahriman.

 

Ahriman, qui se pose en chef des démons daeva ou deva, « créa de son côté un nombre égal de dieux destinés à être comme les antagonistes de ceux quavait engendré Oromaze. » (Isis et Osiris, Plutarque) Ce dernier est, par exemple, secondé dans son action bénéfique par Mithra. Parmi les démons ou mauvais génies qui servent la cause dAhriman, on compte notamment la pensée mauvaise, le feu destructeur, la flèche de la mort, larrogance de lorgueil, la soif et la faim. De fait, dans sa lutte contre Oromaze / Ahura Mazda, Ahriman est secondé par nombre dêtres démoniaques. « Les plus importants sont Aeshma, démon de la folie furieuse et de loutrage, et Azhi Dahaka, monstre à trois têtes, six yeux, trois mâchoires, dont le corps est rempli de lézards et de scorpions. » (Mythes perses, V. S. Curtis, p.21) Il nous faut ici reconnaître dans le nom dAeshma, lAsmodée biblique, cest-à-dire Aeshma-Daeva.

 

4. Un dualisme en expansion constante.

 

Ahrimane / Angra Mainyu apparaît essentiellement comme un destructeur de la « bonne création », mais il est lui-même responsable, comme nous l’avons vu, de la « mauvaise création », à savoir, la création des daêva, les Ténèbres, une assimilation qui aboutira progressivement à lidentification du Mal aux Ténèbres et à lObscurité. La création dAngra Mainyu apparaît donc comme une « contre-création ». « Le Vidêvdât, 1, est une longue énumération des créations successives dAhura Mazdâ et des fléaux immédiatement créés par son adversaire. Par exemple, voici la première création : « Le premier des lieux et pays excellents que je créai, moi, Ahura Mazdâ, fut lAiryanem Vaêjo de la bonne Dâitya. Angra Mainyu, pleinement mortifère, répondit en créant ce fléau pour le pays : le serpent rouge et lhiver créé des daêva. » (Le Dieu du Mal, Hervé Rousseau, p.26) Le Vidêvdât est un code contre les démons. Au fil des siècles, les formes polythéistes vont sestomper, alors que lopposition dualiste entre bien et mal ne cessera de saffirmer et de saffiner. Cette opposition se retrouve sur tous les plans dans le zoroastrisme : Bien-Mal, Ohrmazd-Ahriman, Lumières-Ténèbres, Création-Contre-création, Etoiles-Planètes, etc. Ohrmazd et Ahriman apparaissent donc comme deux natures essentiellement et éternellement antagonistes.

 

5. Aspects d’Ahriman.

 

5.1. Ahrimane est un « mauvais Esprit produit à partir des Ténèbres, sa propre essence, le corps de sa création sous la forme dun crapaud noir avide de ténèbres ; il produit la concupiscence, puis lessence des dêv (démons), le malheur et le mensonge. » (Le Dieu du Mal, Hervé Rousseau, p.31-32)

 

5.2. « Larchidémon Angra Mainyu vit dans les ténèbres du Nord, foyer de toutes les forces du Mal. Il peut abandonner son apparence extérieure pour prendre celle dun lézard, dun serpent ou dun jeune homme. Ainsi déguisé, il combat tout ce qui est bon et tente dentraîner tout le monde jusquà Zoroastre lui-même- dans son univers dobscurité, de tromperie et de mensonges. » (Mythes perses, V. S. Curtis, p.21)

 

5.3. On décrit aussi Ahrimane sous laspect dun être aux yeux noirs et aux cheveux couleur de jasmin.

 

6. La lumière d’Ohrmazd / Ahura Mazda contre les ténèbres d’Ahriman.

 

En résumant, nous pouvons dire quà lorigine, Ohrmazd réside en haut, dans la Lumière, alors quAhrimane occupe le bas dans les Ténèbres. Si Ohrmazd connaît lexistence dAhrimane, ce dernier ignore lexistence dOhrmazd et erre dans lombre. Soudain, Ahrimane aperçoit un point de lumière dans les ténèbres et sélance dans cette direction, mais Ohrmazd le repousse, puis façonne la création qui gardera une forme idéale durant 3000 ans, période durant laquelle Ahrimane est tenu à lécart. Mais à lexpiration de ce temps, Ahrimane remonte à lassaut et entre en lutte avec Ohrmazd. Celui-ci saperçoit quil ne peut vaincre quen limitant la lutte dans le temps et propose à Ahrimane de diviser cette période en trois tranches de mille ans, ce quAhrimane accepte. Ohrmazd envisage alors dencercler Ahriman pour lempêcher de retourner dans son principe de ténèbres et cest dans ce but quil projette la création idéale sur le plan matériel, où, durant la période de trois fois mille ans, elle restera sans mouvement. Ensuite, Ohrmazd met la création en mouvement et Ahriman, prévenu que son temps est limité, monte à lassaut du ciel quil parviendra partiellement à entraîner dans les ténèbres. Dès quil sy est introduit, Ahriman attaque avec succès différentes parties de la création. Ainsi défigure-t-il le ciel, leau, la terre, la végétation, le Bœuf primordial et Gâyômart, lHomme primordial.

 

7. L’ancêtre du Péché originel.

 

Toutefois, la semence de Gâyômart (ou Gayomartan), lHomme primordial tué par Ahrimane, fut purifiée par le soleil et une rhubarbe en germa une quarantaine dannées plus tard. Cette rhubarbe se développa lentement et donna naissance à Mashya et Mashyane, le premier couple humain mortel. Mais ce premier couple humain ne fut guère plus heureux que les Adam et Eve des religions dAbraham. En effet, ils furent eux aussi entrainés vers le péché par Ahriman et se détournèrent de leur créateur. Cest ainsi, dit-on, que le monde semplit de corruption et de mal. Si lon ajoute que, comme on la vu, Ahriman peut apparaître sous la forme dun serpent, on constatera que ce mythe a plus que probablement inspiré celui, abrahamique, du péché originel.

 

8. Le mythe de la victoire définitive du Bien sur le Mal.

 

Il est dit quAhriman devra un jour mourir, que le jour approche où, après avoir amené toutes les calamités sur cette terre, Ahriman devra être lui-même anéanti et disparaître. « Du fait du pacte qui partage le temps de la création entre les deux principes, Ahriman sera expulsé à la fin de son temps, sil na pas pu obtenir la victoire. » (Le Dieu du Mal, Hervé Rousseau, p.34) Il est donc dit que le Mal sera vaincu à la fin du combat, mais cela est-il réaliste ? Si le « Dieu Bon » na pu empêcher lapparition du Mal, rien ne nous dit quil pourra en empêcher la résurrection. Sa toute-puissance prétendue prise en défaut une fois, pourrait lêtre à nouveau ultérieurement. Et « si le mal vient de Dieu, comme la volonté de Dieu est éternellement identique, il sensuit que le mal est éternel aussi et quon ne peut y échapper. » (Le Dieu du Mal, Hervé Rousseau, p.37) Ajoutons que le poète athée et pessimiste, Giacomo Leopardi (1798-1837) écrivit un Hymne à Ahriman décrit comme le « roi des choses », le « créateur du monde, la suprême intelligence qui toujours triomphera »…

 

9. Melek Tans, le paon de l’Orgueil.

 

9.1. Le diable de Cheik Adi.

 

Il est dit des Kurdes Yezzidis qu’ils sont des descendants des anciens Chaldéens et des « adorateurs du Diable ». Ils occuperaient (l’information date d’avant le déclenchement de la guerre américano-irakienne, en 2003) au nord-ouest de Mossoul, un couvent chrétien désaffecté où ils continueraient à vénérer Melek Tans. Difficile de ne pas reconnaître dans ce nom, une référence probable à des dénominations telles que Mélek, Moloch, Malakhbêl, Mal’akhé habalah, qui sont d’un point de vue judéo-chrétien, autant d’appellations d’êtres démoniaques. Mais Melek Tans, qui serait donc Lucifer lui-même, se serait vu pardonner son erreur par Dieu (ne dit-on pas parfois que Lucifer aurait volontairement péché pour servir le dessein de Dieu ?) et aurait été à nouveau élevé au plus haut des cieux. Aussi, chaque année, une fête en l’honneur de Melek Tans est organisée au sanctuaire de Cheik Adi. L’on y assiste à des scènes de transe au cours desquels les pèlerins, enivrés de musique, dansent jusqu’à épuisement, à l’instar des célèbres derviches tourneurs. La foule est, par la suite, aspergée de sang de taureau, après quoi se tiennent, dans les parages immédiats du lieu consacré, de véritables orgies nocturnes.

 

9.2. Le paon de l’Orgueil.

 

Melek Tans est représenté sous la forme d’un paon, forme jugée « orgueilleuse » sous laquelle il aurait tenté Eve, plutôt que sous la forme traditionnelle du serpent. Les Kurdes parlent une langue indo-européenne de la branche iranienne. Dès lors, peut-être peut-on voir dans le paon qui représente Melek Tans, une référence à un mythe concernant le « dieu du mal » iranien Ahriman. : « Dans le zurvanisme, Ohrmazd et Ahriman ne sont plus à proprement parler des principes premiers, puisqu’ils sont engendrés. On peut même se demander s’il n’y a pas un certain retour à la liberté du choix originel : en effet, une indication d’Eznik semble montrer qu’Ahriman est capable de bien, ce qui implique qu’il n’est pas mauvais par nature : « Ils disent que ce fameux Arhmn dit : Ce n’est pas que je ne peux pax créer un être bon, mais je ne veux pas ; et pour confirmer sa parole il créa le paon (De Deo, 188). » (Le Dieu du Mal, p. 50-51).

 

Eric TIMMERMANS

Bruxelles, le 16 mars 2011.

 

Sources : Dictionnaire du Diable, Roland Villeneuve, Omnibus, 1998 (p. 1036 pour Melek Tans) / Dictionnaire du diable, des démons et sorciers, Pierre Ripert, Maxi-Poche Références, 2003 / Dictionnaire du Diable et de la démonologie, J. Tondrau et R. Villeneuve, Marabout Université, 1968 / Le Dieu du Mal, Hervé Rousseau, PUF, 1963 / LAnge déchu, M. Centini, Editions de Vecchi, 2004 / Mythes perses, Vesta Sarkhosh Curtis (traduit de langlais par Paul Chemla), Seuil, 1994.

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18 mars 2011 5 18 /03 /mars /2011 18:42

 

 

 

1. Ammit au tribunal d’Osiris.

 

La plus célèbre des divinités du monde funéraire de lau-delà égyptien, Ammit, est présente lors de la séance de la « pesée de lâme » ou psychostasie, jugement présidé par Thot dans la Douat. Cest elle que lon nomme la « Dévorante », la « Dévoreuse » ou encore, la « Grande de la Mort ». Lorsque le jugement est défavorable au Tribunal dOsiris, cest-à-dire lorsque le cœur du défunt est plus lourd sur la balance du jugement que la plume de Maât, Ammit dévore le cœur. Nul coupable ne peut lui échapper.

 

2. Visualisation.

 

On représente Ammit sous les traits dun être monstrueux, une sorte de chimère, un monstre femelle constitué dun corps dhippopotame, dune tête de crocodile et dun avant-train de lion. Le lion correspond à un symbole solaire de la Haute Egypte (Sud solaire), alors que lhippopotame et le crocodile correspondent à des symboles lunaires de la Basse Egypte (Nord lunaire). Dans liconographie égyptienne, Ammit est rarement représentée en train de dévorer le cœur dun défunt car il ne fallait pas désespérer ceux qui, bien sûr, espéraient franchir victorieusement lépreuve de la « pesée de lâme ». Mieux valait donner de cette épreuve une image plus « positive ».

 

3. Une approche cyclique.

 

De fait, seuls ceux qui étaient véritablement indignes de franchir lépreuve avec succès, voyaient leur cœur dévoré et digéré par Ammit avant de retourner dans les éléments primitifs de la création. Ainsi le cycle reprenait-il pour la particule de Lumière insuffisamment purifiée pour devenir un Nouvel Osiris, étape que lâme était toutefois supposée atteindre après une ou plusieurs autres existences. Il nest pas question dans la tradition égyptienne dun quelconque « enfer éternel ».

 

 

Eric TIMMERMANS.

Bruxelles, le 15 mars 2011.

 

 

Sources : Dictionnaire de Mythologie et de Symbolique égyptienne, Robert-Jacques Thibaud, Dervy, 1996 / Dictionnaire historique de lEgypte, Pierre Norma, Maxi-Poche Histoire, 2003.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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18 mars 2011 5 18 /03 /mars /2011 18:28

 

 

 

 

 

1. Bélial : étymologie.

 

Le nom de Bélial (ou Beliar, Belias) semble signifier sans valeur, vaurien” (I Samuel, 2 : 12 / Juges, 19 : 22 – Bible de Jérusalem), inutile ou encore « iniquité », « impiété », Bélial étant la forme grecque de lhébreu Beli Yaal . Toutefois, « plusieurs hypothèses controversées sont avancées pour expliquer son étymologie : belior (sans lumière), beliol (sans jeu), beli yaal (sans profit). » (LAnge déchu, M. Centini, p.35).

 

2. Bélial, une personnification de la Révolte.

 

Bélial apparaît comme une personnification de la Révolte et de ce que le pouvoir considère comme son corollaire, lAnarchie. Dans la tradition biblique, limportance de Bélial est telle, quon lassimile parfois à lAntéchrist ou à la Bête de lApocalypse. Dans sa Pseudomonarchia daemonum, Jean Wier affirme que Bélial a été créé immédiatement après Lucifer et que cest lui qui entraîna la plupart des anges dans la Révolte. Ainsi fut-il lun des premiers anges à être chassés des divins espaces célestes. Dans lun des Manuscrits de la mer Morte, Bélial est assimilé au chef de tous les anges déchus : « Le nom de Bélial revient plus de trente fois dans les textes les plus importants de Qumran, selon approximativement cette distribution : Règle de la communauté (cinq fois), Hymnes (dix), Document de Damas (six), Rouleau de la guerre (douze). » (LAnge déchu, M. Centini, p.37). On retrouve la trace de Bélial dans un certain nombre de récits apocryphes tels que le Livre dHénoch, le Livre des Jubilés ou la Règle de la communauté, qui mentionne le combat opposant les Hébreux, « fils de la lumière », au « parti des ténèbres », à savoir larmée de Bélial. On peut donc dire que Bélial a été élevé à un rang démoniaque au moins égal à celui de Lucifer ou de Satan. Dans une certaine mesure, Bélial peut même être considéré, plus que Satan, comme le véritable adversaire de Dieu. De fait, si Satan apparaît bien, dans le Livre de Job notamment, comme le Tentateur et le Destructeur, il ne peut agir quavec laccord de Yahweh. Bélial, par contre, peut être décrit sans ambages comme ladversaire de Dieu.

 

Cela apparaît clairement dans le Livre de Nahum (1 : 11) :

 

« De toi est sorti celui qui médite le mal contre Yahweh, celui qui forme des desseins criminels. » (Crampon).

 

« Nest-ce pas de toi quest sorti celui qui médite contre Yahvé, lhomme aux desseins de Bélial. » (Jérusalem).

 

Cette impression dabsolu dualisme, bien moins accusée dans la cynique collaboration qui semble lier Yahweh à Satan dans le Livre de Job, se voit renforcée dans la 2e Epître aux Corinthiens (6 : 15) :

 

« Quel accord y a-t-il entre le Christ et Bélial ? Ou quelle part a le fidèle avec linfidèle ? » (Crampon).

 

« Quelle entente entre le Christ et Béliar ? Quelle association entre le fidèle et linfidèle ? » (Jérusalem).

 

De même, le Testament de Nephtali (2,6), apocryphe de lAncien Testament, également classé parmi les « Ecrits intertestamentaires », oppose, de manière parfaitement dualiste, la loi du « Seigneur » et la loi de Bélial. Il en est de même pour le Testament de Lévi (19,1) : « Choisissez-vous les ténèbres ou la lumière, la loi du Seigneur ou les œuvres de Bélial ? » Ajoutons que « chez les Esséniens le nom du démon est habituellement Bélial et lopposition Lumière-Ténèbres devient prépondérante. LEcrit de Damas oppose Bélial au « Prince des Lumières » ; le Manuel de discipline oppose les « fils de lumière » aux « fils des ténèbres » et à l « empire de Bélial » ; un écrit est consacré à La guerre des fils de la lumière et des fils des ténèbres ou du « parti de Bélial » (Le dieu du Mal, p.62-63).

 

Ajoutons que le rôle de Bélial en tant quadversaire de Dieu est encore plus marqué dans un texte apocryphe nommé LAscension dIsaïe (4 : 4) et dans lequel Bélial est clairement dépeint comme le Prince de ce monde : « Ce prince, Bélial, viendra sous lapparence de ce roi et avec lui toutes les puissances de ce monde, qui obéiront à toutes ses volontés » Dans ce texte, Bélial est présenté comme lennemi du « Bien-Aimé » et cest lui, par ailleurs, qui, sétant installé dans le cœur de Manassé, poussera ce dernier à faire découper Isaïe à laide dune scie de bois. Cela est décrit et expliqué dans les chapitres 4 et 5 de la première partie de LAscension dIsaïe (présenté en ligne par André Wautier sur www.histoire-christ-gnose.org/Isaie.pdf) que lon nomme Le Martyr dIsaïe.  

 

3. Bélial, démon du Vice.

 

Véritable incarnation du refus du dogme et de lordre établi, Bélial est désigné par le judéo-christianisme comme le démon le plus crapuleux, le plus épris de vice pour le vice. Dans son Paradis perdu (I, 490-505), John Milton en parle de la manière suivante : « Bélial parut le dernier ; plus impur esprit, plus grossièrement épris de lamour du vice pour le vice même, ne tomba du ciel. Pour Bélial, aucun temple ne sélevait, aucun autel ne fuma : qui cependant est plus souvent que lui dans les temples et sur les autels, quand le prêtre devient athée comme les fils dEli qui remplirent de prostitutions et de violences la maison de Dieu ? Il règne aussi dans les palais et dans les cours, dans les villes dissolues où le bruit de la débauche, de linjure et de loutrage, monte au-dessus des plus hautes tours : et quand la nuit obscurcit les rues, alors vagabondent les fils de Bélial gonflés dinsolence et de vin ; témoins les rues de Sodome et cette nuit dans Gabaa, lorsque la porte hospitalière exposa une matrone pour éviter un rapt plus odieux. »

 

La fin de ce texte fait référence à un passage des Juges (19 : 13-30) évoquant la « nuit de Gabaa », durant laquelle un vieillard accueillit chez lui un homme et sa femme se rendant à Gabaa (ou Gibéa). Sa maison fut assiégée par des vauriens (= « gens de Bélial ») et le vieillard voulut leur offrir sa fille vierge, mais les vauriens nen voulurent point. Alors, lhomme (le voyageur) offrit sa femme aux vauriens qui abusèrent delle toute la nuit. Lorsque la malheureuse revint auprès de son mari, celui-ci la ramena chez lui puis la tua et la découpa en douze morceaux quil expédia aux quatre coins dIsraël. Cest là lun des nombreux textes bibliques dont le caractère profondément patriarcal nous mène sans peine jusquà la nausée

 

Quoiquil en soit, soucieux de discrédit, le judéo-christianisme insiste sur le fait que Bélial avait un culte à Sodome (cadre dune scène semblable à celle de la nuit de Gabaa, décrite dans la Genèse), même si on lui éleva des autels dans bien dautres villes. Le culte sodomite fit assimiler Bélial à un démon de la pédérastie. Il serait assisté, lorsquil sagit dinciter les humains à cette pratique, par un démon de second ordre nommé Philotanus, dont le nom même semble indiquer son penchant pour la sodomie

 

4. Bélial, démon orateur.

 

Dans le Paradis perdu (II, 106-127), Satan réunit les Anges déchus pour déterminer sil convient ou non de mener une action afin de recouvrer le Ciel. Moloch est partisan de laffrontement direct, mais Bélial le démentira point par point : « Du côté opposé se leva Bélial, dune contenance plus gracieuse et plus humaine. Les cieux nont pas perdu une plus belle créature : il semblait créé pour la dignité et les grands exploits ; mais en lui tout était faux et vide, bien que sa langue distillât la manne, quil pût faire passer la plus mauvaise raison pour la meilleure, embrouiller et déconcerter les plus mûrs conseils. Car ses pensées étaient basses ; ingénieux aux vices, mais craintif et lent aux actions plus nobles : toutefois il plaisait à loreille, et avec un accent persuasif il commença ainsi : « Je serais beaucoup pour la guerre ouverte, ô Pairs, comme ne restant point en arrière en fait de haine, si ce qui a été allégué comme principale raison pour nous déterminer à une guerre immédiate, nétait pas plus propre à men dissuader, et ne me semblait être de sinistre augure pour tout le succès : celui qui excelle le plus dans les faits darmes, plein de méfiance dans ce quil conseille et dans la chose en quoi il excelle, fonde son courage sur le désespoir et sur un entier anéantissement, comme le but auquel il vise, après quelque cruelle revanche. » Suit une argumentation qui réfute celle de Moloch, jugée inutilement suicidaire par Bélial qui espère, par lapaisement, attirer sur les Anges déchus la miséricorde divine : « Ainsi Bélial, par des mots revêtus du manteau de la raison conseillait un ignoble repos, paisible bassesse, non la paix. » (II, 226-227).

 

5. Les fils de Bélial.

 

Le nom de Bélial apparaît aussi dans le 2e Livre de Samuel (23 : 6-7) :

 

« Mais les gens de Bélial sont tous comme des épines que lon rejette, on ne les prend pas avec la main ; lhomme qui y touche sarme dun fer ou dun bois de lance, et on les consume par le feu sur place. » (Crampon).

 

« Mais les gens de Bélial sont tous comme lépine quon rejette, car on ne les prend pas avec la main. Lhomme qui les touche, est chargé de fer et du bois des lances, et ils sont brûlés, brûlés sur place. » (Jérusalem).

 

Les « fils (ou gens) de Bélial » apparaissent ici comme les adeptes du Démon ou, tout simplement, comme des « gens de rien », « ne valant rien », cest-à-dire, dans loptique abrahamique, les incroyants et les « sans-dieux ». Ils doivent être traités, selon lintolérante approche biblique, comme les épines que l’on ne « prend pas avec la main », étant, en quelque sorte, par nature, « intouchables ». Lhomme qui veut sen emparer, dit le Livre de Samuel, doit sarmer de fer et de lances, et les consumer sur place par le feu. On reconnaîtra là une pratique qui a dû inspirer bien des inquisiteurs à travers les siècles

 

6. A savoir également.

 

6.1. Une légende prétend que le roi Salomon a un jour vaincu Bélial et quil serait parvenu à lenfermer dans une bouteille ou une jarre, de même que les522.290 démons de son armée ! Toutefois, lors de leur conquête de Jérusalem, les Babyloniens auraient exploré le puits où avait été jeté le récipient contenant Bélial et, croyant y trouver un trésor, ils auraient brisé la jarre, permettant ainsi à Bélial de séchapper.

 

6.2. En démonologie, Bélial est décrit comme un Démon Supérieur, Secrétaire dEtat de Méphistophélès. Il commande 24 ou 80 légions de démons et passe pour être le maître de la tricherie, de la tromperie et de la corruption. Il procure ainsi dignités et faveurs, favorise lentente entre amis et donnent également de bons démons familiers à ceux qui se soumettent à lui. Il préside aussi aux assassinats secrets.

 

6.3. Chodar semble être un autre nom de Bélial.

 

6.4. Dans les croyances populaires, on dit que Bélial est le démon qui préside au mois de janvier.

 

6.5. On dit de Bélial, quil est lambassadeur de lEnfer en Turquie.

 

6.6. Si lon en croit le procès verbal établi le 19 mai 1614 et concernant le prétendu cas de possession de Marie de Sains, le nom de « Belias » (que nous ne pouvons nous empêcher de rapprocher de celui de Bélial) aurait été cité lors des litanies du sabbat des Flandres qui se tenait, dit-on, les mercredis et les vendredis. Ce Belias fut aussi titré « prince des vertus », ce qui ne manque pas de piquant pour un démon dont le nom est assimilé à la débauche ! (Dictionnaire du Diable, Roland Villeneuve, p. 546).

 

6.7. Le nom de Bélial apparaît notamment dans la Pseudomonarchia daemonum de Jean Wier, de même que dans le Dictionnaire infernal de Jacques Collin de Plancy.

 

7. Visualisation.

 

Si laspect intérieur de Bélial est, bien évidemment, supposé hideux, il se présente généralement sous un aspect avenant, séduisant et empreint de dignité. Sa voix, dit-on, est suave et plaisante, mais également hypnotique. Bélial est parfois représenté conduisant un char de feu.

 

Eric TIMMERMANS ©

Bruxelles, le 15 mars 2011.

 

 

Sources : Bible de Jérusalem, Cerf, 1998 / Bible du chanoine Crampon, Société de Saint-Jean lEvangéliste, 1939 / Dictionnaire des superstitions, R. Morel et S. Walter, Marabout, 1972 / Dictionnaire du Diable, Roland Villeneuve, Omnibus, 1998 / Dictionnaire du diable, des démons et sorciers, Pierre Ripert, Maxi-Poche Références, 2003 / Dictionnaire encyclopédique de la Bible, Pierre Norma, Maxi-Poche Références, 2001 / LAnge déchu, M. Centini, Editions de Vecchi, 2004 / Le dieu du Mal, Hervé Rousseau, PUF, 1963 / Le Paradis perdu, John Milton, NRF-Gallimard, 2007 / Le Prince de ce monde, Nahema-Nepthys et Anubis, Editions Savoir pour Être, 1993 / Livre des Superstitions, Eloïse Mozzani, Robert Laffont, 1995.

 

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18 mars 2011 5 18 /03 /mars /2011 18:23

 

 

 

1. Le Providentiel.

 

Le nom de ce dieu gaulois signifie « Celui qui prévoit », le « Providentiel », le « Pourvoyeur », « Celui qui supprime les difficultés de la vie ». On retrouve dailleurs cette même racine dans le nom de la déesse gallo-romaine Rosmerta.

 

2. Smertrios sur le pilier des Nautes.

 

Smertrios apparaît sur le pilier des Nautes des Parisii de Lutèce, exposé au musée de Cluny. Il sagit dune sculpture occupant un espace « carré » appartenant au « cube » de Castor, Pollux et Cernunnos. On peut y voir un personnage barbu se préparant à frapper un serpent qui se dresse devant lui, à laide dun objet quil tient dans la main droite et qui est probablement une massue. Toutefois, cette sculpture apparait mutilée à un point tel que larme brandie par Smertrios pourrait aussi bien être un flambeau ou une serpe. De même, le « serpent » quil semble combattre pourrait également être un arc. Mais on retient généralement lhypothèse que cette sculpture illustre lépisode dun récit mythique dans lequel Smertrios, dieu athlétique qui nest pas sans rappeler Héraclès, semble combattre un reptile monstrueux.

 

3. Mars ou Dispater.

 

Smertrios nest connu autrement que par quelques inscriptions qui lassimilent à Mars : [d]iti Smer [trio] (Grossbuch, Autriche, AE 1950, 98), Smert [rios] (Paris, France, CIL XIII 03026), Marti Smertrio (Liesenich, Allemagne, CIL XIII 11975). On identifie également Smertrios à Dis Pater et lon voit en lui, plutôt quune divinité indépendante, un surnom dune des grandes divinités masculines du panthéon celtique.

 

 

Eric TIMMERMANS.©

Bruxelles, le 14 mars 2011.

 

Sources : Les Celtes Les Dieux oubliés, Marcel Brasseur, Terre de Brume Editions, 1996 / Les Celtes Histoire et dictionnaire, Venceslas Kruta, Robert Laffont, 2000 / Nouveau dictionnaire de mythologie celtique, Marcel Brasseur, Pygmalion, 1999 / Répertoire des dieux gaulois, Nicole Jufer et Thierry Luginbühl, Errance, 2001.

 

 

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18 mars 2011 5 18 /03 /mars /2011 18:02

 

 

 

1. Lucifer, de lEtoile du Matin à lAnge déchu.

 

Hormis ceux de Satan et de Belzébuth, il nest pas de nom qui, dans notre imaginaire occidental, évoque plus limage du Diable que celui de Lucifer. Ainsi, dun point de vue biblique, Lucifer, le Fils de lAurore, est-il considéré comme le premier Ange déchu. On lassimile dailleurs à Satan en précisant que la chute de ce dernier lui fit perdre le nom de Lucifer : « Mais il ne veillait pas de la sorte, SATAN (ainsi lappelle-t-on maintenant, son premier nom nest plus prononcé dans le ciel). » (Le Paradis perdu, V, 658-659). La chute de Satan/Lucifer est notamment illustrée par la descente du roi de Babylone aux Enfers (Isaïe 14 : 12-15) :

 

« Comment es-tu tombé du ciel, astre brillant, fils de l’aurore ? Comment es-tu renversé par terre, toi, le destructeur des nations ? Toi qui disais en ton cœur : « Je monterai dans les cieux ; au-dessus des étoiles de Dieu, j’élèverai mon trône ; je m’assiérai sur la montagne de l’assemblée, dans les profondeurs du septentrion ; je monterai sur les sommets des nues, je serai semblable au Très-Haut ! ... » Et te voilà descendu au schéol, dans les profondeurs de l’abîme ! » (Crampon).

 

« Comment es-tu tombé du ciel, étoile du matin, fils de l’aurore ? As-tu été jeté à terre, vainqueur des nations ? Toi qui avais dit dans ton cœur : « J’escaladerai les cieux, au-dessus des étoiles de Dieu j’élèverai mon trône, je siègerai sur la montagne de l’Assemblée, aux confins du septentrion. Je monterai au sommet des nuages, je m’égalerai au Très-Haut. » Mais tu as été précipité au schéol, dans les profondeurs de l’abîme. » (Jérusalem).

 

Le roi de Babylone est, on le voit, nommé « fils de lAurore », alors que Lucifer, que la mythologie latine désigne comme le fils dEos (=lAurore), est traditionnellement perçu comme un « astre brillant », l « étoile du matin ». La Bible de Jérusalem explique, en outre, que les versets bibliques auxquels nous faisons référence, sinspirent vraisemblablement dun modèle phénicien et présentent plusieurs points de contacts avec les poèmes de Râs-Shamra. Ainsi, lEtoile du matin (soit la planète Vénus, « étoile » qui, le matin, annonce laurore) et lAurore, y apparaissent comme deux figures divines. Or, la montagne de lAssemblée dont il est question dans Isaïe (14 : 13) et doù le roi de Babylone sera précipité dans le « schéol », est justement celle où les anciens dieux, disait-on, se réunissaient, tout comme sur lOlympe, et voilà pourquoi les « pères de lEglise » ont interprété la chute de lEtoile du matin, alias le roi de Babylone, comme celle du prince des démons : Lucifer. Et dans la mythologie latine, lEtoile du matin, soit laspect matinal de la planète Vénus (ou Etoile du Berger), nest autre que le dieu Lucifer (Eosphoros ou encore Phoshoros en grec) dont le nom signifie en latin le « Porteur de Lumière » de lux (=lumière) et ferre (=porter). Une représentation de la chute de Lucifer est notamment visible sur le tympan de la cathédrale de Fribourg (14ème siècle). Il est également fait référence à la chute de lAnge déchu dans lApocalypse (12 : 7-9 et 8 : 8-9) :

 

Apocalypse 12 : 7-9 :

 

« Et il y eut un combat dans le ciel : Michel et ses anges combattaient contre le dragon ; et le dragon et ses anges combattaient ; mais ils ne purent vaincre, et leur place même ne se trouva plus dans le ciel. Et il fut précipité, le grand dragon, le serpent ancien, celui qui est appelé le diable et Satan, le séducteur de toute la terre, il fut précipité sur la terre et ses anges furent précipités avec lui. » (Crampon).

 

« Alors il y eut une bataille dans le ciel : Michel et ses anges combattirent le Dragon. Et le Dragon riposta, avec ses anges, mais ils eurent le dessous et furent chassés du ciel. On le jeta donc l’énorme Dragon, l’antique Serpent, le Diable ou le Satan, comme on l’appelle, le séducteur du monde entier, on le jeta sur la terre et ses Anges furent jetés avec lui. » (Jérusalem).

 

Apocalypse 8 : 8-9 :

 

« Et le deuxième ange sonna de la trompette, et une sorte de grande montagne tout en feu fut jetée dans la mer ; et le tiers de la mer devint du sang, et le tiers des créatures marines qui ont vie périt, et le tiers des navires fut détruit. » (Crampon).

 

« Et le deuxième ange sonna… Alors une énorme masse embrasée, comme une montagne, fut projetée dans la mer, et le tiers de la mer devint du sang : il périt ainsi le tiers des créatures vivant dans la mer, et le tiers des navires fut détruit. » (Jérusalem).

 

Au 4ème siècle, saint Ambroise identifiera clairement Lucifer au Grand Dragon de lApocalypse, lassimilant ainsi définitivement au « symbole des ténèbres séparées de la lumière au moment de la création du monde. » (LAnge déchu, Centini, p. 5). En outre, « dans le Hortus déliciarum dHerrard von Landsberg (XIIe siècle), on trouve une représentation de la rébellion de Lucifer. Cette œuvre est particulièrement significative parce quà la différence de nombreuses autres réalisations analogues dans lesquelles le sujet ne dispose pas de physionomie précise, Lucifer apparaît ici clairement comme le prince de lenfer (Lucifer ut Satanas) » (LAnge déchu, M. Centini, p. 98) Le dieu-astre, lui-même conducteur de tous les astres de lancienne Rome, fils de Jupiter et dEos, fut ainsi assimilé à lAnge déchu, au Diable biblique. Etrange destin que celui de cette divinité romaine dont le nom, à Rome, servait à désigner les principales divinités de la Lumière et qui, dans linterprétation judéo-chrétienne, fut assimilée au « Prince des Ténèbres » ! Saint Paul renforcera encore cette assimilation de Lucifer à Satan dans une attaque plus que vraisemblablement dirigée contre les gnostiques quils nomment « faux apôtres » du Christ qui « se déguisent en ministres de justice », tout comme « Satan lui-même se déguise en ange de lumière. » (2ème Epître aux Corinthiens, 11 : 13-15). De fait, pour celui qui confond ces deux notions antagonistes que sont la foi aveugle et lIntelligence véritable, qui sexprime notamment par le doute et le refus de la soumission servile, Lucifer doit être considéré comme le « Père du mensonge »

 

2. Lucifer dans lEnfer de Dante.

 

Dans le Chant 34, Dante décrit Lucifer comme un géant emprisonné dans la glace jusquau milieu de la poitrine et, précise-t-il encore : « sil fut aussi beau quil est difforme aujourdhui, et sil osa lever les yeux contre son créateur, de lui doit procéder toute souillure ». Dante le nomme « empereur du douloureux royaume » et le dépeint sous les traits dun être tricéphale : la tête de devant est vermeille, celle de droite est jaune et blanche, quant au visage de gauche, il est noir (à noter que ces quatre couleurs correspondent aux couleurs alchimiques traditionnelles). Il est aussi doté de deux grandes ailes de chauve-souris. Lauteur de la « Divine comédie » dit de lui quil broie et dévore les pécheurs tout en versant des larmes amères.

 

3. Lucifer, déchu volontaire et allié du Christ ?

 

Toutefois, malgré cette vision infernale très généralisée, lassimilation de Lucifer à Satan est loin dêtre absolue. Selon certaines approches, Lucifer ne serait pas un autre nom de Satan, mais un révolté promis à une réhabilitation. Alors que Satan est supposé incarner le Mal absolu, Lucifer, lui, incarnerait le Mal rendu nécessaire, suite à la chute de lAndrogyne ou « Homme Primordial ». Lucifer aurait ainsi accepté de passer pour ce quil nest pas, afin de permettre aux Justes dêtre sauvés à la fin des temps, tout comme Judas aurait trahit Jésus contre son propre gré, afin quil puisse, par son sacrifice, accéder au statut de Christ. Il est dit ainsi quà la fin des temps, Lucifer donnera aux Justes l « Etoile du Matin ». Rappelons encore lexistence dune tradition secrète dans le « Symbole des Apôtres » connu sous le nom de « Credo », selon laquelle le Christ, entre sa mort et sa résurrection, serait descendu trois jours en Enfer pour remettre à Lucifer une étoile à cinq branches le célèbre pentagramme- ou encore une émeraude. La liturgie catholique ne fournit toutefois aucune explication sur cette mystérieuse visite infernale qui met à mal le mythe dun Lucifer maléfique, dès lors révélé sous le jour dun « porteur de lumière » et dun « connaissant libérateur ». Faut-il également rappeler que le « Saint Graal » fut, dit-on, forgé avec la couronne de Lucifer (ou taillé dans une émeraude tombée de son front) et quil servit, selon la légende, à recueillir le sang du « crucifié » ? : « Une légende médiévale raconte que lors de la crucifixion, Joseph dArimathie recueillit le sang du Christ dans unes coupe, la même utilisée par le Christ pour célébrer leucharistie au cours de la Cène. Cette coupe aurait été forgée avec la couronne de Lucifer et elle fut appelée le Saint Graal. » (LAnge déchu, Centini, p. 51). Par ailleurs, selon les gnostiques, létoile ou émeraude précédemment citée serait accrochée entre les deux yeux de Lucifer, ce qui nest pas sans rappeler le « troisième œil » de la tradition hindoue, notamment celui du dieu Shiva. A la fin des temps, Lucifer est sensé remettre cette étoile au Christ et retrouver ainsi son état angélique dorigine. Ainsi, loin dêtre naturellement assimilé à Satan, on voit ici Lucifer apparaître sous les traits dun allié du Christ. Mieux encore, le nom même de Lucifer servit, dans lEglise primitive, à désigner le Christ lui-même (Apocalypse 22 : 16) considéré comme le « Porteur de Lumière » puisquil assurait être la « Lumière du monde ». Le Christ fut ainsi nommé Lucifer matutinus ou encore Lucifer qui nescit occasum (=Lumière qui ignore le déclin). La Vierge Marie est également nommée « Etoile du matin ». Derrière limage dun Lucifer diabolique assimilable à Satan et qui, à lexemple de ce dernier tentant les hommes par la luxure, préfèrerait, quant à lui, les tenter par lorgueil, on voit ainsi persister le Lucifer lumineux de lancienne tradition romaine. Toutefois le mystère concernant la nature réelle de Lucifer reste entier, « en effet, quand les échos de Lucifer, de lapôtre secret du Christ [Joseph dArimathie] et du Graal sont parvenus en Europe, l énigme est devenue encore plus grande. Elle le demeure encore aujourdhui. » (LAnge déchu, Centini, p. 51).

 

4. Luciférisme et luciférianisme.

 

Quant au terme de « lucifériens », il désigne les membres dune secte religieuse « lucifériste » proche du manichéisme, qui fit lobjet dune vive condamnation dans un bulle papale de Grégoire IX, adressée à lempereur Frédéric II, en 1233, alors que le « luciférianisme » est, quant à lui, une doctrine fondée en 363, soit une trentaine dannée avant limposition du christianisme comme unique religion dEtat à Rome, par un évêque de Cagliari nommé Lucifer et qui préconisait un nouveau baptême des hérétiques et, notamment, des Ariens. Les lucifériens sont dont des adorateurs de Lucifer, alors que les adeptes du luciférianisme sont, eux, des adeptes de lévêque Lucifer.

 

5. Lucifer au 19ème siècle et la mystification de Taxil.

 

A noter également lapproche romantique des Lucifériens du 19e siècle, selon lesquels une lutte immémoriale est engagée entre Lucifer et Adonaï, ce dernier nétant autre que le Dieu de lAncien Testament promis pour être vaincu et capturé par Lucifer. Selon cette approche, Lucifer est le principe de lintelligence et de la vie, alors quAdonaï nest que le créateur dun Adam dépourvu dintelligence. Adonaï finira pour toujours captif en Saturne et sous la garde de Moloch et dinnombrables légions de démons délite Cest en tout cas ce qui est affirmé par Miss Diana Vaughan, en 1895, dans une revue prétendument « luciférienne » intitulée Le Palladium régénéré et libre. Cette thèse ne manque certes pas dintérêt, à ceci près que Miss Diana Vaughan na tout simplement jamais existé ! Ces pseudo-révélations lucifériennes sinscrivent dans le contexte de limmense « mystification transcendantale » montée par Léo Taxil, de son vrai nom Jorgand-Pagès, et quelques comparses, dont la prétendue « Miss Vaughan », dans le but de convaincre le public, et notamment le public ecclésiastique, de lexistence dun mystérieux complot luciférien universel, dune église luciférienne universelle même, dont lexistence fut dénoncée par la voix dun certain docteur Bataille aussi peu connu du registre de lEtat civil que Diana Vaughan ! Ne confondons donc pas le « luciférisme » et le « luciférianisme » avec cette célèbre affaire du « Diable au XIXe siècle » et de la prétendue « franc-maçonnerie luciférienne universelle » montée par Léo Taxil, incroyable bouffonnerie mystificatrice qui aurait, sans doute, été dautant moins désavouée par Rabelais et Villon que lEglise donna tête baissée dans le piège ! Ce quil convenait, bien sûr, de rappeler

 

6. A savoir également.

 

6.1. Dans le Tractatus de confessionibus maleficorum et sagarum, Peter Binsfeld (1540-1603), évêque suffragant de Trèves, affirme quà chaque péché capital correspond un démon particulier, celui du péché dOrgueil étant Lucifer lui-même. De fait, il est traditionnellement admis par les « pères de lEglise » que le péché dOrgueil fut à lorigine de la chute de Lucifer. De ce « péché originel » découlerait donc sa « désobéissance » et sa « superbe », les deux autres « péchés » de Lucifer les plus fréquemment cités par les catholiques. Révolte et désobéissance sont effectivement peu prisées par ceux qui ne jurent que par la soumission aux puissants

 

6.2. Il est dit que le mois de mai est consacré à Lucifer.

 

6.3. Lucifer est parfois nommé « Grand Justicier et Empereur de lEnfer ».

 

6.4. Si selon certaines traditions, lange Lucifer sest mué en un animal horrible, on ne sait si cet aspect est définitif ou si cela nest quune des apparences possibles de lAnge rebelle.

 

6.5. Selon certaines traditions, la justice infernale serait essentiellement exercée par Lucifer.

 

6.6. Selon le procès-verbal du 19 mai 1614 établi lors du procès en sorcellerie de Marie de Sains, le nom de Lucifer aurait été cité dans les litanies du sabbat des Flandres qui se tenait habituellement les mercredis et les vendredis.

 

6.7. Au 17ème siècle, on note quun noble de Pignerol (Piémont, province de Turin, Italie) signe avec Lucifer un contrat en 28 points qui établit notamment que le démon lui fournira immédiatement 100.000 livres dor véritable, en monnaie usuelle, plus mille le premier mardi de chaque mois. (Dictionnaire du Diable, Villeneuve, p. 717).

 

6.8. Dans la sordide affaire Gaufridy, , le principal intéressé, Louis Gaufridy, curé de la paroisse marseillaise des Accoules, fut accusé davoir également conclu un pacte avec Lucifer qui insigne honneur !- vint lui rendre personnellement visite dans sa chambre. Faut-il préciser que ces prétendus « pactes diaboliques » nétaient que des montages, des faux grossiers, dont le seul but était de faire accuser et condamner les accusés de sorcellerie ?

 

6.9. Dans la sinistre affaire de possession de Louviers, on verra également la jeune religieuse Madeleine Bavent avouer quelle se donne, notamment, à Belzébuth, à Lucifer et à Léviathan. On sait toutefois historiquement que les amants imposés à Madeleine étaient aussi religieux quhumains

 

6.10. Selon Peter Binsfeld (1540-1603), Lucifer patronne plus particulièrement le péché dorgueil auquel, selon un abbé de Fulda (Hesse), correspondrait la citronnelle.

 

6.11. Le nom de Lucifer apparaît dans laffaire de la prétendue possession de Cantianille B. dAuxerre (1866) orchestrée par un abbé douteux nommé de Thorey. Celui-ci prétendra quun démon nommé Ossian, soumis à Lucifer, possèdera ladite Cantianille. Mais Ossian échoua dans sa mission et Lucifer prit lui-même sa succession. Il apprit notamment quOssian avait rendu plusieurs pactes diaboliques, chose particulièrement inadmissible de la part dun démon ! Aussi, Lucifer, furieux, envoya Ossian au cachot pendant au moins quinze jours Plus fort quOssian, le seigneur Lucifer lui-même ne put résister à lexorcisme et dut rendre un pacte à Thorey. La défaite de Lucifer parut à Samson, lun des démons possesseurs de Cantianille, comme le signal annonçant le renversement du Maître des Ténèbres et de sa propre accession au trône infernal. Mal lui en prit car, même défait, Lucifer, plus puissant et plus digne que les autres démons, sut conserver son trône. Faut-il préciser que cette histoire abracadabrante ne met en réalité en présence que deux personnages, le peu honnête Thorey, abbé de son état, et sa malheureuse dupe, Cantianille B. dAuxerre ? (Dictionnaire du Diable, p. 156-157).

 

7. En conclusion.

 

Lucifer, nous lavons vu, apparaît comme un symbole de la Lumière surgissant au cœur dun certain obscurantisme chrétien, ce que nous rappelle très opportunément Michel Onfray dans son Traîté dathéologie (p. 41) : « Satan, Lucifer, le porteur de clarté le philosophe emblématique des Lumières-, celui qui dit non et ne veut pas soumettre à la loi de Dieu, évolue en contemporain de cette période de gésines. Le Diable et Dieu fonctionnent en avers et revers de la même médaille, comme théisme et athéisme. »

 

Eric TIMMERMANS

Bruxelles, le 14 mars 2011.

 

Sources : Bible de Jérusalem, Editions du Cerf, 1998 / Bible du chanoine Crampon, Société de Saint Jean lEvangéliste, 1939 / Dictionnaire de la Bible, Pierre Norma, Maxi-Poche Références, 2001 / Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Joël Schmidt, Larousse, 1965 / Dictionnaire des superstitions, R. Morel et S. Walter, Marabout, 1972 / Dictionnaire du Diable, Roland Villeneuve, Omnibus, 1998 / Dictionnaire du diable, des démons et sorciers, Pierre Ripert, Maxi-Poche Références, 2003 / Encyclopédie de la mythologie, Editions Sequoia, 1962 / Guide des religions, « Le catholicisme », Dauphin, 1981 / Le Prince de ce monde, Nahema-Nephtys et Anubis, Editions Savoir pour Être, 1993 / Livre des superstitions (mythes, croyances et légendes), Eloïse Mozzani, Robert Laffont, 1995 / Œuvres de Dante Alighieri, La Divine comédie, traduction de A. Brizeux, Charpentier Libraire-Editeur, 1853 / LAnge déchu, M. Centini, Editions De Vecchi, 2004 / Le Diable au XIXe siècle La mystification du Dr Bataille, Michel Berchmans, Bibliothèque Marabout Editions Gérard & C°, 1973 / Le Paradis perdu, John Milton, NRF-Gallimard, 2007 / Traité dathéologie, Michel Onfray, Grasset et Fasquelle, 2005.

 

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11 mars 2011 5 11 /03 /mars /2011 13:12

                                           

 

 

 

1. Eole, dieu des Vents.

 

Fils de Poséidon (ou de Zeus ou d’Hippotès) et d’Arné, Eole (Aiolos, en grec) est le dieu (ou roi) des Vents. Ceux-ci, au nombre de douze (six fils et six filles) sont enfermés dans une caverne des îles éoliennes (ou île d’Eolie ou Lipari) et ne peuvent prendre leur essor que sur l’ordre de Zeus. Si Eole venait à décider de libérer les Vents sans l’accord du premier des dieux, il déchaînerait des désastres climatiques, des tempêtes et des naufrages.

 

2. Eole dans l’Odyssée.

 

C’est avec bienveillance qu’Eole donna à Ulysses les outres qui contenaient les vents (contraires à la navigation) dont il avait la garde : « Eole, tout un mois, me traite et m’interroge, car il veut tout connaître, la prise d’Ilion, la flotte et le retour des Achéens d’Argos, et moi, de bout en bout, point par point, je raconte. Quand voulant repartir, à mon tour je le prie de me remettre en route, il a même l’obligeance de me rapatrier. Il écorche un taureau de neuf ans ; dans la peau, il coud toutes les aires des vents impétueux, car le fils de Cronos l’en a fait régisseur : à son plaisir, il les excite ou les apaise. Il me donne ce sac, dont la tresse d’argent luisante ne laissait passer aucune brise ; il vient l’attacher au creux de mon navire ; puis il me fait souffler l’haleine d’un zéphyr, qui doit, gens et vaisseaux, nous porter au logis… » (Odyssée, chant X).

 

Mais une seule d’entre les outres contenait le vent favorable qui devait pousser sans encombre le bateau d’Ulysse sur les flots marins (ou un seul vent contenu dans le sac unique était favorable). Mais les compagnons du héros, croyant y trouver du vin (ou de l’or et de l’argent), ouvrirent toutes les outres (ou le sac) et provoquèrent ainsi une tempête épouvantable qui fit faire naufrage au bateau d’Ulysse : « Allons vite ! Il faut voir ce que sont ces cadeaux (ndr : ou, « combien d’or et d’argent est caché dans cette outre »). Sitôt dit, on se range à cet avis funeste. Le sac est délié : tous les vents s’en échappent, et soudain la rafale entraîne mes vaisseaux et les ramène au large ; mes gens en pleurs voyaient s’éloigner la patrie !... »

 

Le bateau d’Ulysse est ramené dans l’île d’Eole où il s’en va trouver le dieu. Mais ce dernier le considère désormais comme maudit par les dieux et finit par l’abandonner à son triste sort : « Décampe de mon île, ô le rebut des êtres ! ...car je n’ai plus le droit de t’accorder mes soins, ni de te reconduire : un homme que les dieux fortunés ont en haine !... Décampe !... Tu reviens sous le courroux des dieux ! » (Odyssée, chant X)

 

Un autre Eole, fils d’Hellène, est l’ancêtre légendaire des Eoliens.

 

 

Eric TIMMERMANS.©

Bruxelles, le 9 mars 2011.

 

Sources : Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Joël Schmidt, Larousse, 1965 / Encyclopédie de la mythologie, Sequoia, 1962 / Grand dictionnaire des symboles et des mythes, Nadia Julien, Marabout, 1998 / L’Odyssée, Homère, traduit et présenté par Victor Bérard, Livre de Poche, 1984.

 

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9 mars 2011 3 09 /03 /mars /2011 15:07

 

1. Les Erinyes dans la tradition gréco-latine.

 

Les Erinyes sont au nombre de trois et portent les noms d’Alecto, Tisiphone et Mégère. Selon Eschyle, elles sont les filles de la Nuit (=Nyx) et du fleuve Achéron (=Celui qui roule des douleurs), mais on les dit aussi filles de la Nuit et de Cronos. Selon Hésiode, elles seraient nées de la Terre (=Gaïa) fécondée par le sang d’Ouranos que Cronos avait mutilé. Les Erinyes sont les ministres de la vengeance des dieux, les déesses grecques de la Vengeance. Elles sillonnent la Terre pour tourmenter les mortels coupables. Lors d’une violation du droit d’asile ou de l’hospitalité, d’un meurtre de parents (tel Oreste, poursuivi par les Erinyes pour le meurtre de sa mère) ou d’un parjure, elles surgissent des Enfers et poursuivent sans relâche le coupable afin de le pousser à la folie. Elles envoient parfois des malédictions et des punitions collectives, notamment sous forme d’épidémie.Leurs actions terrifiantes s’étendent bien évidemment aussi au monde souterrain. Elles torturent les malfaiteurs qui ne s’étaient pas purifiés de leurs crimes. Elles les insultent et les fouettent. On dit aussi qu’elles interdisent aux devins de prédire trop précisément l’avenir, car les hommes doivent rester dans l’incertitude et ne pas s’identifier aux dieux. On les nomme aussi parfois Euménides, c’est-à-dire, les « Bienveillantes ». Il est dit qu’on les appela ainsi, en raison de la crainte que l’on nourrissait à leur égard, mais d’autres sources précisent que sous cet aspect, les Erinyes pouvaient se montrer bien intentionnées à l’égard d’un meurtrier qui s’était purifié de son crime. Ainsi, vers le 5e siècle avant l’ère chrétienne, apparaissaient-elles comme les gardiennes de la Morale, et c’est à cette époque qu’elles auraient commencé à être vénérées sous le nom d’Euménides (en Attique, à Argos, Sicyone et en Arcadie). Il est dit aussi que Horcos, le dieu des Serments, naquit en présence des Erinyes, ce qui fait du jour de sa naissance un jour néfaste.

 

2. Les Erinyes dans l’Enfer de Dante.

 

Dante évoque les trois Erinyes (qu’il assimile aux Furies romaines) dans son Enfer (chant 9) : « Là, je vis tout à coup paraître trois Furies infernales teintes de sang, lesquelles avaient des membres et des gestes de femmes. Elles étaient ceintes d’hydres verdâtres ; pour cheveux elles avaient de petits serpents et des cérastes qui s’entortillaient autour de leurs tempes hideuses. Et lui, qui reconnut bien les suivantes de la reine de l’éternelle douleur : « Regarde, me dit-il, les féroces Erinyes. Celle-ci, à gauche, c’est Mégère ; celle qui pleure à droite, c’est Alecto ; Tisiphone est au milieu. » A ces mots il se tut. De leurs ongles elles se déchiraient la poitrine ; elles se battaient avec les mains, et criaient si haut, que, par défiance de leur rage, je me serrai contre le poète. « Que Méduse vienne, et nous la changerons en pierre, criaient-elles toutes en regardant en bas ; nous nous sommes mal vengées de l’entrée audacieuse de Thésée. »

 

3. Visualisation.

 

Les Erinyes sont représentées sous la forme de déesses ailées, à la chevelure de serpent et aux yeux de braise. Elles sont munies de torches et de fouets. On les figure parfois sous l’aspect de chasseresses à tunique relevée et hautes chaussures de chasse.

 

4. Les Furies romaines.

 

Les Furies ou Dirae (=les Terribles), étaient le nom donné, à Rome, aux Erinyes grecques. Les Furies, que les Romains considéraient comme les filles de l’Achéron et de la Nuit, sont des démons souterrains, inspirés des divinités infernales étrusques. Bien qu’emprunté aux Erinyes helléniques, leur culte n’en occupait pas moins une place importante dans la religion romaine. De fait, les Furies sont chargées de punir les crimes des humains, tant dans les Enfers que sur Terre. Certaines sources assimilent également les Furies aux Harpyes grecques. A noter encore qu’une très ancienne divinité romaine portait le nom de Furrina. Il se pourrait qu’il s’agisse d’une nymphe d’une source du Tibre ou encore d’une divinité infernale et fertilisante, dont les Anciens eux-mêmes rapprochèrent le nom du mot « furie ».

 

 

Eric TIMMERMANS.©

Bruxelles, le 8 mars 2011.

 

 

Sources : Dictionnaire de la mythologie grecque et latine, Odile Gandon, Hachette, 2000 / Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Joël Schmidt, Larousse, 1965 / Dictionnaire du Diable, Roland Villeneuve, Omnibus, 1998 / Encyclopédie de la mythologie, Editions du Séquoia, 1962 / Grand dictionnaire des symboles et des mythes, Nadia Julien, Marabout, 1998 / La Divine comédie, Dante Alighieri, traduction de A. Brizeux, Charpentier Libraire-Editeur, Paris, 1853.

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4 mars 2011 5 04 /03 /mars /2011 13:20

 

 

 

 

1. Eôs, personnification de l’Aurore.

 

Personnification divine de l’Aurore, Eôs, fille de Théia et d’Hypérion, sœur d’Hélios et de Séléné, appartient à la toute première génération des dieux helléniques. C’est à la fin de chaque nuit qu’Eôs apparaît à l’horizon sur un char de lumière traîné par deux chevaux d’or : Lampos et Phaéton. C’est ainsi qu’elle annonce le retour du Soleil, Hélios, qu’elle accompagne sous le nom d’Héméra jusqu’au soir, avant de prendre le nom d’Hespéra et de poursuivre son voyage vers les rives occidentales de l’Océan.

 

2. Les amours d’Eôs.

 

Les époux et amants d’Eôs sont innombrables : Arès (ce qui provoqua la jalousie d’Aphrodite qui condamna Eôs à de continuelles amours avec des mortels), Orion, Céphale, Clitos, Ganymède. Elle a également une très nombreuse progéniture. Ceci dit, les amours d’Eôs doivent être considérés comme autant d’allégories. Ainsi en va-t-il de son union avec Astraeos, le vent du crépuscule, dont naquirent l’Etoile du Matin (Eôsphoros/Lucifer), les Vents du Nord, de l’Ouest et du Sud, et les Astres.

 

3. Tithonos.

 

Eôs tomba également amoureuse d’un mortel nommé Tithonos, mais tandis qu’Eôs voyait sa jeunesse préservée, Tithonos, lui, se mit à vieillir. C’est alors qu’Eôs demanda à Zeus d’accorder l’immortalité à son amant. Hélas, elle oublia de demander également pour lui, la jeunesse éternelle. Tithonos continua donc à vieillir mais sans pouvoir espérer voir un jour la mort le libérer du poids des ans. De Tithonos, Eôs eut deux fils, Emathion et Memnon. Ce dernier fut tué par Achille, ce qui jeta Eôs dans un grand désespoir : ses larmes sont à l’origine de la rosée.

 

4. Visualisation.

 

Eôs est généralement représentée en riche tunique, soit sous l’aspect d’une jeune femme ailée, soit roulant en quadrige attelé de chevaux ailés et répandant la rosée sur la terre. L’art grec ne différencie pas Eôs, Héméra et Hespéra.

 

 

Eric TIMMERMANS.©

Bruxelles, le 3 mars 2011.

 

 

Sources : Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Joël Schmidt, Larousse, 1965 / Grand dictionnaire des symboles et des mythes, Nadia Julien, Marabout, 1998.

 

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2 mars 2011 3 02 /03 /mars /2011 18:48

 

 

 

1. Le Roi des Fleuves.

 

L’Acheloos est le plus grand fleuve de Grèce. Homère le nomme le « Roi des Fleuves ». Il limite l’Etolie et l’Acarnanie. Ce fleuve porte aujourd’hui le nom d’Aspropotamos (=la Rivière Blanche) et se jette dans la mer ionienne.

 

2. Acheloos, un fleuve protéiforme.

 

Acheloos (ou Acheloüs ; en grec : Acheloios) est le fils d’Océan et de Théthys. Il est aussi le frère de plus de 3.000 fleuves, sur lesquels il imposait jadis sa souveraineté. Acheloos passe pour être le père des Sirènes. Dans le contexte des Douze Travaux d’Hercule, il dispute à ce dernier son épouse Déjanire, tout comme le fera aussi le Centaure Nessos. Et comme ce dernier, Acheloos sera vaincu. Défait lors d’un premier combat, Acheloos revient cependant à la charge sous la forme d’un gigantesque serpent. Sur le point d’être étranglé par Hercule, il se change en un taureau furieux. Mais le demi-dieu le domptera et lui cassera une de ses cornes qui deviendra la célèbre Corne d’Abondance (certaines sources assimilent plutôt celle-ci à une des cornes de la chèvre Amalthée). Ce mythe fut interprété comme symbolisant la fertilité d’un fleuve vénéré plus que tout autre par les Anciens, et auquel, sur le conseil de l’oracle de Dodone, il fallait toujours faire des sacrifices. Quatre nymphes qui avaient omis de l’invoquer dans leurs prières, furent emportées par les eaux gonflées de colère du fleuve et furent métamorphosées en îles, les Echinades (ou îles de Nasia). Le nom d’ « Echinades » semble tirer son nom des oursins que l’on trouvait sur les plages de ces îles. Elles sont situées dans la mer ionienne, à l’entrée du golfe de Corinthe.

 

3. Visualisation.

 

Acheloos est représenté sous de nombreuses formes : un vieillard cornu, un dragon/serpent à tête humaine et, le plus généralement, sous la forme d’un taureau à tête humaine portant une longue barbe. On le trouve sous cette forme sur des monnaies de Gela (Sicile) et sa lutte avec Hercule est représentée sur des sculptures en bois datant du 7e siècle avant l’ère chrétienne. Sous l’aspect du taureau, Acheloos symbolise les eaux furieuses. Le roseau et la patère figurent parmi ses attributs.  

 

Eric TIMMERMANS.©

Bruxelles, le 2 mars 2011.

 

 

Sources : Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Joël Schmidt, Larousse, 1965 / Encyclopédie de la mythologie, Sequoia, 1962 / Grand dictionnaire des symboles et des

mythes, Nadia Julien, Marabout, 1998.

 

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24 février 2011 4 24 /02 /février /2011 18:52

 

1. Cérès, une déesse romaine.

 

Déesse romaine de l’Agriculture et divinité chtonienne, Cérès était primitivement vénérée en compagnie de Tellus, déesse de la Terre. Le nom de Cérès est à mettre en rapport avec le verbe latin crescere (=naître, pousser, croître). De fait, Cérès est la sève sortie de la terre qui s’élève et gonfle les jeunes pousses. Elle fait mûrir les blés et jaunir les moissons. A Rome, le temple de la déesse était situé dans le quartier des plébéiens, près du Circus Maximus, Cérès étant également perçue comme la déesse de la plèbe. Les animaux-attributs de Cérès sont la grue, la truie et la tourterelle. A noter encore que la Constellation de la Vierge portait anciennement le nom de Cérès, avant la découverte d’une planète à laquelle on donna son nom. Une étoile de cette constellation porte d’ailleurs le nom d’ « Epi de la Vierge ». De là vient également l’association à l’image de la Vierge zodiacale, d’une faucille et d’une gerbe de blé.

 

2. Les fêtes de Cérès.

 

2.1. Du 12 au 19 avril, on célébrait une fête nommée Cerealia, consacrée à Cérès et instituée dès 493 avant l’ère chrétienne. Le 15, à la tombée de la nuit, des femmes vêtues de blanc et portant des torches enflammées, couraient autour du temple, suivies par une foule vociférante.

 

2.2. Au mois de mai, chaque année, dans un bois sacré situé près de Rome, une autre cérémonie se déroulait en l’honneur de Cérès Dea Dia. Cette fête était célébrée par les douze Arvales ou « fratres Arvales » qui, selon la légende, étaient à l’origine, les douze fils du berger Faustulus, celui-là même qui recueillit Romulus et Remus. Le sacrifice offert à cette occasion portait le nom d’Arvala, soit un sacrifice pour la prospérité des biens de la terre.

 

2.3 Au mois d’août était célébré, exclusivement par des femmes, le sacrum anniversarum Cereris. C’était une cérémonie basée sur le jeûne (jejunium) et institué dès -191. Mais à partir de l’année -44, ces fêtes furent présidées par deux magistrats institués par César : les aediles cereales.

 

3. De Cérès à Déméter.

 

Cette très ancienne divinité latine, que l’on nomme aussi Dea Dia, fut assimilée à la déesse grecque Déméter. Ainsi, en 493 avant l’ère chrétienne, après une mauvaise récolte et une famine, inaugura-t-on le premier temple dédié à Cérès-Déméter. Dans ce temple, construit dans le style hellénique, seules des femmes d’origine grecque pouvaient célébrer le culte de la déesse. De fait, jusqu’à Cicéron, les prêtresses de Cérès étaient choisies parmi les femmes grecques de Naples ou d’Elée. Tous les mythes de Déméter furent par la suite reportés sur Cérès. La légende de Cérès conserva donc toutes les caractéristiques d’Eleusis dont l’empereur Claude s’efforça de transférer à Rome les mystères traditionnellement célébrés en l’honneur de Déméter. Ainsi, si Déméter apparaît comme la mère de Perséphone, Cérès, quant à elle, n’est autre que la mère de Proserpine.

 

 

Eric TIMMERMANS.©

Bruxelles, le 24 février 2011.

 

 

Sources : Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Joël Schmidt, Larousse, 1965 / Dictionnaire latin-français, Henri Goelzer, GF-Flammarion, 1966 / Encyclopédie de la mythologie, Sequoia, 1962 / Grand dictionnaire des symboles et des mythes, Nadia Julien, Marabout, 1998.

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