1. Lycanthrope : étymologie.
Le terme lycanthrope dérive des mots grecs lycos (=loup) et anthropos (=homme).
2. L’histoire de Lycaon.
L’histoire de Lycaon, nom de deux personnages de la tradition hellénique, dont l’un était roi d’Arcadie alors que l’autre fut tué par Achille (c’est le premier qui nous intéresse), apparaît comme l’une des premières légendes se rapportant à la lycanthropie.
Le roi d’Arcadie Lycaon et ses cinquante fils étaient réputés pour leur impiété. Pour les confondre, Zeus imagina de leur rendre visite sous l’aspect d’un pauvre paysan. Mais Lycaon était méfiant. Aussi, afin de savoir si cet étranger était ou non un dieu, lui fit-il servir de la chair humaine (les membres d’un enfant qu’il venait d’égorger et qu’il avait fait cuisiner) mélangée à d’autres mets.
Zeus, indigné qu’on puisse lui offrir un tel repas, foudroya tous les fils du roi, à l’exception d’un seul nommé Nyctimos et destiné à succéder à Lycaon sur le trône d’Arcadie. Quant à Lycaon, il fut contraint d’errer dans les campagnes sous la forme d’un loup mais tout en gardant son intelligence humaine.
3. Lycanthrope : les phases de la métamorphose.
Dans l’imagerie populaire, de même que dans la littérature et le cinéma fantastiques, le Lycanthrope désigne un être humain capable de se métamorphoser en loup. On le nomme généralement « loup-garou », mais nous verrons plus loin que ce nom ne devrait vraisemblablement désigner qu’un stade de la métamorphose lycanthropique.
La métamorphose en loup peut, dit-on, être complète ou incomplète. Ainsi le Lycanthrope peut-il apparaître sous la forme d’un loup ou sous une forme hybride, mi-homme, mi-loup, marchant sur ses pattes arrière. En cas de transformation complète en loup, on reconnaît le Lycanthrope au fait que, lorsqu’on l’a tué d’un coup de fusil, il reprend sa forme humaine.
L’humain infecté par le germe de la lycanthropie conserve une apparence normale. Il ignore généralement tout de la présence en lui dudit germe, mais certaines caractéristiques physiques le distinguent des autres humains, et ce, même de jour. Ses sourcils se rejoignent au-dessus du nez. Ses cinq sens, de même que son instinct ou « sixième sens », sont particulièrement développés. Ses canines sont également plus développées que celles d’un être humain normalement constitué. La texture de ses cheveux est épaisse et particulièrement drue au milieu du crâne. Lorsqu’il apparaît, les animaux prennent la fuite ou font montre d’une agressivité inhabituelle.
Dans la célèbre histoire de Stevenson, « L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mister Hyde », la transformation dudit docteur Jekyll en un être ignoble nommé Edward Hyde, n’est pas sans rappeler ce premier stade de la lycanthropie : « La main de Henry Jekyll (comme vous l’avez remarqué) était professionnelle comme forme et comme grandeur ; elle était large, ferme, blanche et gracieuse. Mais la main que j’avais devant moi, étendue à moitié fermée sur les draps du lit, et que je voyais distinctement dans la lumière jaune d’un matin de Londres, était maigre, cordée, noueuse, d’une pâleur terne, et ombragée par une épaisse couche de poils noirs. Cette main était la main d’Edward Hyde. » (L’étrange cas du docteur Jekyll et de mister Hyde, Maxi Poche Jeunesse, 2004, p.135). Ne dit-on pas aussi qu’on reconnaît un homme frappé de lycanthropie au fait qu’il a les doigts un peu plats et parfois quelques poils dans la main ?
Le second stade de la transformation lycanthropique est celui de l’homme-loup. Dans ce cas, la métamorphose physique est plus prononcée. La taille de l’individu peut augmenter de 10 % et son poids de 25 %. Sa musculature devient plus massive. Les mains sont anormalement longues, des griffes apparaissent au bout des doigts, le corps se couvre de poils, en cela compris le visage, ses oreilles deviennent pointues. Si ces autres sens se développent encore, sa capacité de parole, par contre, se limite à présent à quelques phrases simples. Dans les ténèbres, il peut encore passer relativement inaperçu et il possède encore une lucidité suffisante pour se maîtriser, ce qui lui permet notamment de choisir ses victimes avec plus de soin qu’aux stades ultérieurs.
Une fois encore, cette description de la transformation lycanthropique nous renvoie à un passage de l’histoire de Stevenson. A l’origine, Edward Hyde est de petite stature mais il commence progressivement à se fortifier, à mesure qu’il prend l’ascendant sur Jekyll : « Cette partie de moi-même, que j’avais le pouvoir de faire ressortir, avait été dernièrement bien exercée et fortifiée, et j’avais remarqué dans les derniers temps que le corps d’Edward Hyde avait gagné en stature, et, quand j’étais sous cette forme, je sentais un sang plus généreux couler dans mes veines ; je pressentis un grand danger, je fus convaincu que si je prolongeais longtemps ce genre de vie, la balance de ma nature pourrait être renversée à jamais, le pouvoir de la transformation perdu et le caractère d’Edward Hyde devenir le mien irrévocablement. » (Ibid., p.137)
Le troisième stade de la métamorphose est celui du loup-garou proprement dit, celui qui est le plus connu de l’imagerie populaire, à tel point que les notions de loup-garou et de Lycanthrope sont généralement considérées comme des synonymes. A ce stade, le poids du sujet augmente de 100 % et sa taille de 26 %. Ses mains et ses pieds, déjà allongés durant le stade précédent, s’allongent encore de 50 %. Le corps est à présent totalement couvert de poils, les griffes qui apparaissent aux extrémités des mains et des pieds se font coupantes, les dents sont des crocs, une queue de loup apparaît, les oreilles s’allongent et sont plus pointues encore qu’au second stade de la métamorphose, sa mâchoire s’allonge à tel point qu’elle transforme le sujet en cynocéphale, c’est-à-dire un être à tête de canidé. Le corps est désormais surmonté d’une énorme tête de loup. Sa capacité de parole est à présent pratiquement nulle et se limite à quelques mots basiques. Quant à la manipulation de certains objets, elle lui est devenue impossible. Il est meurtrier, rapide, précis et se déplace soit à quatre pattes, soit sur ses seuls membres antérieurs.
Le quatrième stade de la métamorphose est celui du presque-loup. Il précède la métamorphose complète du sujet en loup. A ce stade, ledit sujet n’augmente ni de taille ni de poids, mais il n’est plus capable de se déplacer sur ses deux seuls membres antérieurs et ne se meut donc plus qu’à quatre pattes. Son aspect est celui d’un loup anormalement grand, ce qui n’est pas sans rappeler certaines descriptions de la célèbre Bête du Gévaudan. Ses capacités et ses sens se trouvent encore améliorés. Le sujet n’est toutefois plus capable de manipuler aucun objet, aussi simple soit-il, mais il lui est toujours impossible de se faire accepter en tant que loup normal dans une meute.
Enfin, survient le cinquième stade, celui du loup proprement dit. Le poids du sujet diminue de 125 % et sa taille de 25 %. Le voilà à présent visible sous l’aspect d’un loup commun, celui que l’on connaît sous le nom scientifique de Canis lupus. Le Lycanthrope ainsi métamorphosé n’en est pas moins supérieur aux loups communs, mais s’il est capable à présent de rejoindre une meute, il ne pourra jamais s’accoupler avec une louve commune. A noter aussi que les Lycanthropes sont réputés parfois chasser en meute à l’instar des loups.
4. Comment devient-on un Lycanthrope ?
On peut devenir un Lycanthrope de manière involontaire ou de manière volontaire.
Dans le premier cas, le sujet est mordu par un Lycanthrope et les germes du mal lui sont transmis par la salive de la bête.
Dans le second cas, la métamorphose en Lycanthrope résulte de la pratique de la sorcellerie, d’un pacte diabolique ou, de manière plus réaliste et prosaïque, de l’usage de certaines drogues, telle que la belladone qui pourrait, par son ingestion, donner l’illusion de la transformation lupine (ce qui rejoint également l’idée de la « décorporation », soit la sortie du corps matériel vivant d’un « double immatériel » ou « fantôme »).
Toujours dans l’histoire du Dr. Jekyll et de Mister Hyde, on retrouve cette référence au breuvage déclenchant la métamorphose : « C’est assez dire que non seulement j’avais reconnu que mon corps matériel n’était que le mirage ou l’ombre de certains éléments dont mon âme était constituée, mais que j’étais même arrivé à composer un breuvage qui avait le pouvoir de détrôner ces éléments, de m’arracher à leur domination, et de me donner une seconde forme, une nouvelle physionomie, lesquelles ne m’étaient pas moins naturelles, quoiqu’elles fussent l’expression et portassent la marque des éléments les plus dégradants de mon âme. » (L’étrange cas du Docteur Jekyll et de Mister Hyde, Maxi-Poche Jeunesse, 2004, p.125-126)
Mais il existe encore un autre cas de lycanthropie : celle qui découle d’une malédiction frappant des criminels voués au Diable, c’est-à-dire que leur caractère de Lycanthrope constitue le prix à payer pour leur pacte diabolique. « En Normandie, à la fin du XVIIIe siècle, on publiait des « monitoires » appelant une personne soupçonnée de crime à se livrer. Si, à la troisième publication, l’individu ne se montrait toujours pas, il était débaptisé par l’Eglise et abandonné au diable. On croyait qu’il se mettait alors à courir le garou toutes les nuits, couvert d’une peau de loup, obligé de s’arrêter à chaque carrefour et devant chaque croix pour y être fouetté par le Malin. (…) Lorsque cette transformation animale est le fait d’une punition, celle-ci est censée durer sept ans. Mais si le monstre est blessé et que son sang coule, il se trouve délivré de son calvaire.» (Superstitions et croyances des pays de France, Marie-Charlotte Delmas, p.112)
Voici ce que dit aussi de la lycanthropie Eliphas Lévi, alias l’abbé Constant : « Je veux parler de la lycanthropie ou de la transformation nocturne des hommes en loups, si célèbres dans les veillées de nos campagnes, par les histoires de loups-garous ; histoires si bien avérées que, pour les expliquer, la science incrédule a recours à des manies furieuses et à des travestissements en animaux. Mais de pareilles hypothèses sont puériles et n’expliquent rien. Cherchons ailleurs le secret des phénomènes observés à ce sujet et constatons d’abord :
1° Que jamais personne n’a été tué par un loup-garou, si ce n’est par suffocation, sans effusion de sang et sans blessures ;
2° Que les loups-garous sont traqués, poursuivis, blessés même, n’ont jamais été tués sur place.
3° Que les personnes suspectes de ces transformations ont été toujours retrouvées chez elles, après la chasse au loup-garou, plus ou moins blessées, quelquefois mourantes, mais toujours dans leur forme naturelle. » (Dogme et rituel de la haute magie, Eliphas Lévi, Editions Bussières, 1988, p.137)
« Osons dire maintenant qu’un loup-garou n’est autre chose que le corps sidéral d’un homme, dont le loup représente les instincts sauvages et sanguinaires, et qui, pendant que son fantôme se promène ainsi dans les campagnes, dort péniblement dans son lit et rêve qu’il est un véritable loup. Ce qui rend le loup-garou visible, c’est la surexcitation presque somnambulique causée par la frayeur chez ceux qui le voient, ou la disposition, plus particulière aux personnes simples de la campagne, de se mettre en communication directe avec la lumière astrale, qui est le milieu commun des visions et des songes. Les coups portés au loup-garou blessent réellement la personne endormie par congestion odique et sympathique de la lumière astrale, par correspondance du corps immatériel avec le corps matériel. » (Dogme et rituel de la haute magie, Eliphas Lévi, Editions Bussières, 1988, p.138)
Certaines sources prétendent aussi que la Lycanthropie se transmet de père en fils, surtout si le fils est issu d’un couple illégitime.
5. A savoir également à propos des Lycanthropes.
5.1. C’est de nuit que le Lycanthrope est condamné à errer sous sa forme monstrueuse.
5.2. Selon certaines traditions, il est dit que la métamorphose peut se produire à n’importe quel moment de l’année, mais selon d’autres sources, il est dit qu’elle ne se produit qu’en période de pleine lune, et ce durant un cycle de trois jours (ou de douze jours).
5.3. On précise parfois que les Lycanthropes se tiennent généralement près des fontaines, car c’est en s’y baignant qu’ils opèrent leur métamorphose. Il s’y replonge ensuite pour reprendre une forme humaine.
5.4. A la suite d’Eliphas Lévi, il est dit que la partie du corps du Lycanthrope qui a été sectionnée, redevient humaine après quelques heures et qu’un Lycanthrope redevient presque immédiatement humain lorsqu’il a été tué.
5.5. Toute blessure faite au Lycanthrope est faite également à la personne humaine qui le suscite.
5.6. Pour Institoris et Sprenger, les auteurs du célèbre Malleus maleficarum ou « Marteau des sorcières », le Lycanthrope ne serait rien d’autre qu’un loup démoniaque, soit un loup possédé par un démon qui le rend féroce, audacieux et invulnérable.
5.7. La croyance en la lycanthropie fut longtemps tenace. Rien qu’en France, 30.000 cas de lycanthropie « réelle » ou supposée, furent recensés entre 1520 et 1630. On prétendait que chaque village possédait son loup-garou, ce qui donne une idée des vexations et des persécutions dont eurent à souffrir tous les « hors-normes » de jadis, assimilés à des sorciers ou à des « hommes-loups » que l’on s’empressait, le cas échéant, de remettre au bras séculier.
5.8. Il existe de nombreuses théories concernant la manière de tuer un Lycanthrope : utilisation de balles en argent, bénites ou sur lesquelles on a gravé une croix, décapitation, etc. Toutefois, le Lycanthrope est réputé difficile à tuer, voire carrément invulnérable.
5.9. Il est dit que la peau des Lycanthropes est d’un cuir si dur qu’il résiste aux balles de fusil, à moins qu’elles n’aient été bénites à minuit, dans une chapelle dédiée à saint Hubert, patron des chasseurs.
5.10. Il est dit que les Lycanthropes entrent dans les demeures par la fenêtre, lieu de passage préféré de la Mort…
5.11. On dit que celui qui a les doigts gros et courts, et qui les cache généralement dans les paumes de sa main, est un Lycanthrope.
5.12. Celui qui a les doigts plats n’est guère mieux considéré puisqu’en Normandie on voit également en lui un sorcier ou un Lycanthrope.
5.13. Pour rendre à un Lycanthrope sa forme humaine, il faut lui donner un coup de fourche entre les deux yeux.
5.14. Les Lycanthropes se nourrissent de chair fraîche, avec une claire préférence pour celle des chiens et des enfants. Un « gourmet-gourmand », en quelque sorte !
5.15. Si la légende du Lycanthrope trouve plutôt ses racines en Europe occidentale, celle du Vampire est plus certainement originaire d’Europe orientale. Il existe entre ces deux créatures infernales un certain nombre de différences, mais également des points communs. Ainsi, à la suite de Stanislas de Guaïta, peut-on remarquer que si le Vampire apparaît comme le double de personnes défuntes, les Lycanthropes, eux, sont clairement des doubles de personnes bien vivantes (plus précisément, sorciers ou sorcières).
5.16. La bestialité est un modèle idéal de procréation pour les Lycanthropes : ne dit-on pas que les Lycanthropes mâles éprouvent plus de plaisir avec les louves avec les femmes ? Des monstres hybrides naissent, dit-on, de ces unions sataniques. On les reconnaît à leur extrême pilosité et à leur dégénérescence physique.
6. La Lycanthropie, une maladie psychique ?
D’un point de vue psychologique, la lycanthropie est également nommée « folie louvière » ou encore « lypémanie ». Il s’agit d’une maladie psychique, d’un déséquilibre mental, qui fait qu’une personne croit réellement s’être transformée en loup. Le sujet se désigne lui-même comme un loup et prend les attitudes de cet animal. On le considère comme dangereux, tant pour lui-même que pour son entourage, cela va sans dire…
Les cas de lypémanie seraient notamment le fait de personnes victimes d’hallucinations provoquées notamment par la faim et qui les amènent à se prendre pour des loups. Il s’agirait d’une forme d’auto-persuasion, à savoir que le sujet est tellement obsédé par l’idée de sa métamorphose, qu’il finit par la vivre.
Comme explication à la lycanthropie, les spécialistes évoquent notamment la schizophrénie, un syndrome cérébral organique accompagné de psychose, une réaction dépressive psychotique, une névrose hystérique de type dissociatif, une psychose maniaco-dépressive ou encore l’épilepsie psychomotrice.
C’est le célèbre démonologue Jean Wier, disciple de Corneille Agrippa, qui le premier osa affirmer, au risque d’encourir les foudres de l’Eglise, que la lycanthropie était une maladie et non le résultat d’une entreprise démoniaque, ce qui contredit notamment Eliphas Lévi qui voit dans le lycanthrope une personne en syncope dont le « fantôme » ou, plus précisément, le Double irait de nuit par monts et par vaux, sous l’apparence d’un loup ou d’un sorcier se rendant au Sabbat…
7. Une histoire de Lycanthrope.
En Auvergne, au 16e siècle, un chasseur s’étant battu avec un loup, était parvenu à lui couper une patte antérieure à l’aide de son couteau de chasse. Lorsqu’il voulut sortir le trophée de sa poche, il en extirpa, à sa grande stupeur, une main de femme portant l’alliance qui n’était autre que celle de sa propre épouse. De fait, il découvrit sa femme qui se chauffait près d’un feu, sa main gauche sous le tablier. On découvrit bientôt que sa main avait été coupée et elle avoua être un Lycanthrope. La malheureuse fut finalement brûlée. On est toutefois en droit de soupçonner le mari d’avoir mis sur pied toute cette machination dans le seul but de se débarrasser de son épouse, sans avoir à lui rendre sa dot…
Eric TIMMERMANS
Bruxelles, le 12 juillet 2010.
Sources : Dictionnaire des superstitions, R. Morel et S. Walter, Marabout, 1972 / Dictionnaire des superstitions et des croyances populaires, Pierre Canavaggio, Jean Claude Simoën, 1977 / Dictionnaire du Diable, Roland Villeneuve, Omnibus, 1998 / Dictionnaire du diable, des démons et sorciers, Pierre Ripert, Maxi-Poche Références, 2003 / Le Prince de ce monde, Nahema-Nepthys et Anubis, Editions Savoir pour Être, 1993 / Superstitions et croyances des pays de France, Marie-Charlotte Delmas, Editions du chêne, 2003.