1. Les fils d’Ixion.
Un jour, Ixion, roi des Lapithes de Thessalie, tomba amoureux d’Héra, l’épouse de Zeus. Pour éprouver l’amoureux, Zeus lui envoya une nuée qui avait l’apparence de son épouse et Ixion s’unit à elle. De cette union naquirent les Centaures (en grec : Kentauroi). Ceux-ci passent pour vivre dans les montagnes et les forêts, et plus précisément dans le mont Pélion, en Thessalie. Ils se nourrissent de fruits et de viande crue. Brutaux, ils n’hésitent pas à enlever et à violer les femmes, ainsi qu’à se battre avec tous les hommes qu’ils rencontrent. Ils incarnent la force d’une nature non encore bridée. Ils symbolisent l’aspect animal de l’homme lorsqu’il n’est pas équilibré par la puissance spirituelle. Tous les Centaures n’appartiennent toutefois pas à la descendance violente d’Ixion. Certains sont même reconnus pour leur sagesse et leur bienveillance, les Centaures Pholos et Chiron, notamment. Le mythe des hommes-chevaux serait né parce que les Thessaliens étaient à tel point réputés être d’excellents cavaliers qu’ils semblaient ne faire qu’un avec leurs chevaux. Certains prétendent que les Centaures furent finalement exterminés suite à leurs luttes incessantes contre les hommes, mais d’autres disent qu’ils ont pris la fuite sur des navires avant de terminer leur violente carrière, victimes des Sirènes.
2. Le combat des Lapithes.
Quand Pirithoos, fils d’Ixion et de Dia (ou fils de Zeus, selon les versions) et prince des Lapithes, se maria, il invita ses demi-frères, les Centaures, qui burent du vin jusqu’à s’enivrer –les Centaures boivent habituellement du lait caillé et ne supportent pas les boissons alcoolisées…-, puis se déchaînèrent. Ils violèrent toutes les femmes qu’ils rencontraient et s’en prirent même à la mariée, Hippodamie, que le Centaure Eurytion voulut enlever. S’en suivit une violente bataille entre les Centaures, armés de troncs d’arbres et de tisons enflammés, et les Lapithes qui finirent par repousser les hommes-chevaux dans le sud du Péloponnèse, plus précisément aux abords du Pinde. Ce sera le début d’une longue guerre entre les Lapithes et les Centaures. Cette longue guerre est peut-être à l’origine d’un mythe de l’orage.
3. Héraklès contre les Centaures.
Dans la mythologie grecque, les héros sont souvent obligés d’affronter les Centaures. Ainsi, Héraclès étouffa-t-il le Centaure Nessos qui convoitait son épouse Déjanire. Les Centaures sont, comme nous l’avons dit, bien connus pour être des ravisseurs de femmes et notamment, de femmes mariées, bien qu’ils échouent toujours dans leurs entreprises et sont généralement mis à mort par l’époux, le fiancé ou un proche du fiancé. A noter qu’Héraklès, au cours de la réalisation de ses célèbres Douze Travaux, en tua un grand nombre. On disait aussi que l’eau d’une rivière de l’Elide nommée Anigre avait mauvais goût parce que les Centaures blessés par Héraklès s’y étaient baignés et y avaient laissé traîner leur odeur bestiale.
4. Les Centaures perçus par le christianisme.
Le christianisme a assimilé les Centaures à la Luxure et à la Séduction, mais on leur reconnaît également la connaissance du secret des vertus des plantes. Saint Antoine fit, selon la légende de ce saint chrétien, la rencontre d’un Hippocentaure. Ainsi est-il dit que lorsque saint Antoine alla rendre visite à Paul, il rencontra un Hippocentaure que le christianisme assimila à un démon incube : « Nous ne savons, écrit saint Jérôme, si le diable aura pris cette forme pour effrayer le saint ou si le désert, fécond en animaux difformes, produit de tels monstres. » Ledit saint Antoine rencontra aussi, dit-on, un genre d’homme au nez crochu, doté de cornes et de pieds de chèvre, et il engagea la conversation avec lui : « Je suis mortel, dit le monstre, l’un de ces habitants du désert que l’on nomme faunes, satyres ou incubes. Mes compagnons m’ont chargé d’un message. Nous te supplions de prier pour notre commun Seigneur, que nous savons être venu jadis pour le salut du monde. Car le bruit de sa venue s’est répandu par toute la terre ! » Antoine qui, supposé sain d’esprit, prétend avoir engagé une conversation avec des êtres mi-hommes, mi-animaux dans un désert, aurait alors pleuré des larmes de joie à l’évocation de cette « victoire du Christ sur Satan » et se serait aussi écrié : « Malheur à toi, qui méprises le vrai Dieu pour honorer de telles créatures ! Malheur à toi, car voici les bêtes qui glorifient le Christ ! »
5. Les Centaures dans l’Enfer de Dante.
Force est de constater que l’intervention du saint ne fut guère efficace, puisque Dante, ayant visité l’Enfer, selon ses dires, y rencontra les Centaures… Guidé par Virgile, Dante traverse l’Enfer et y rencontre donc les Centaures (Chant XII) :
-Les deux poètes entrent dans le septième cercle, soit celui des Violents, qui est divisé en trois enceintes. Dans la première de ces enceintes, on trouve les Violents contre la vie et les biens du prochain. Virgile dit à Dante : « Mais fixe les yeux sur la vallée ; car voici la rivière de sang dans laquelle bout quiconque par la violence a nui aux autres. »
-Et Dante fit le commentaire suivant : « Je vis une ample fosse tordue en arc, comme celle qui embrasse toute la plaine, selon ce qu’avait dit mon guide. Et entre le pied de la roche et cette fosse couraient à la file des centaures armés de flèches, comme ils avaient coutume dans le monde d’aller à la chasse. Nous voyant descendre, chacun d’eux s’arrêta, et trois se détachèrent de la bande, tenant en main leur arc et leur flèche tout prêts. »
-Virgile apprend alors à Dante qu’à l’entour de ladite fosse, les Centaures « vont par mille et mille, perçant de flèches toute âme qui sort du sang plus que sa faute ne le permet. »
-Trois Centaures se détachent du groupe, ce sont Chiron, Pholos et Nessos. Ce dernier lance de loin aux deux poètes : « A quel martyre venez-vous, vous qui descendez la côte ? Dites d’où vous êtes, sinon je tire à l’arc. »
-Mais Virgile exige alors de parler à Chiron : « Nous ferons une réponse à Chiron, ici après ; pour ton malheur, tes désirs ont toujours été trop vifs. »
-Puis Virgile identifie pour Dante les deux autres Centaures : « Puis il me toucha et me dit : « Celui-ci est Nessus, qui mourut pour la belle Déjanire et vengea lui-même sa propre mort. Et celui du milieu, qui se regarde la poitrine, est le grand Chiron, qui éleva Achille ; cet autre est Pholus, qui fut plein de colère. »
-Chiron les ayant observés, constate que Dante est vivant : « Nous nous approchâmes près de ces monstres agiles ; Chiron prit une flèche, et avec le coche il retroussa sa barbe derrière sa mâchoire. Quant il eut découvert sa grande bouche, il dit à ses compagnons : « Vous êtes-vous aperçus que celui de derrière fait mouvoir ce qu’il touche ? Ainsi n’ont pas habitude de faire les pieds des morts. »
-Virgile explique alors à Chiron qu’il doit, selon la volonté divine, guider Dante, qui est effectivement vivant, à travers l’Enfer et il demande également une escorte : « « Mais, au nom de cette vertu qui dirige mes pas dans une route si sauvage, donne-moi un des tiens qui nous accompagne, et qui nous montre un endroit guéable, et qui porte celui-ci sur sa croupe ; car ce n’est point un esprit qui aille par les airs. »
-Chiron désigna Nessos et la petite troupe se mit en marche : « Chiron se tourna du côté droit, et dit à Nessus : « Va, et guide-les, et si une autre troupe les rencontre, écarte la. Nous nous mîmes en marche sous cette escorte fidèle, le long des bords de cette rouge écume dont les noyés poussaient d’horribles cris. J’en vis plongé jusqu’aux paupières, et le grand centaure dit : « Ce sont les tyrans qui vécurent de sang et de rapine. Ici se pleurent les torts impitoyables ; (…) »
-Virgile dit à Dante que Nessos serait son premier guide durant la visite de cette partie de l’Enfer, et que lui-même serait le second : « Que Nessus soit ici ton premier interprète ; je ne serai que le second. »
-La visite se poursuivit donc, ainsi commentée par Dante : « Un peu plus loin, le centaure s’arrêta au-dessus de damnés que l’on voyait sortir la tête hors du fleuve. (…) Puis j’en vis qui tenaient la tête et aussi tout le buste hors du lac, et de ceux-là j’en reconnus bon nombre. Ainsi, de plus en plus, le sang baissait et ne couvrait plus que les pieds, et ce fut là que nous traversâmes la fosse. Par la raison que de ce côté tu vois la source diminuer toujours, dit le centaure, je veux que tu croies que de l’autre côté elle pèse de plus en plus sur le fond, jusqu’à ce qu’il se réunisse à celui où la tyrannie est condamnée à gémir. »
-Ainsi Nessos fit-il franchir la fosse de sang bouillant à Virgile et Dante qui purent de cette manière gagner la seconde enceinte, celle des Violents contre eux-mêmes. Avant que Nessos ne soit retourné dans la première enceinte, ils en avaient commencé la visite. « Puis il [Nessus] se retourna et repassa le gué. »
-Dans la septième fosse du huitième cercle, soit la fosse des Voleurs et des Concussionnaires (Chant XXV), les deux poètes rencontrent un voleur particulièrement arrogant. Quand celui-ci finit par prendre la fuite, un autre Centaure paraît, identifié par Dante à Cacus. Notons toutefois que dans la mythologie gréco-latine, Cacus n’est pas un Centaure, mais un géant tricéphale.
6. Visualisation.
Les Centaures sont des créatures mi-humaines (le torse, les bras, la tête), mi-équine (le corps du cheval, sans la tête). Selon certaines sources, on les représentait jadis sous l’aspect de deux hommes réunis par la taille à des corps de chevaux, qui se font face et qui dansent. Il en existe aussi des formes femelles nommées Centauresses. Les Centaures sont bien représentés dans l’art hellénique. Les plus anciennes représentations de Centaures connues semblent être un relief de bronze trouvé à Olympe et datant du 7ème s. avant l’ère chrétienne et des figures apparaissant sur un lécythe (vase en terre cuite) proto-corinthien datant des 8ème ou 7ème s. avant l’ère chrétienne. On trouve la forme parfaite du Centaure au Parthénon, à partir d’environ 440 avant l’ère chrétienne.
Eric TIMMERMANS
Bruxelles, le 5 avril 2010.
Sources : Dictionnaire de la mythologie grecque et latine, Odile Gandon, Livre de Poche, 1996 / Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Joël Schmidt, Larousse, 1965 / Dictionnaire du diable, des démons et sorciers, Pierre Ripert, Maxi Poche Références, 2003 / Encyclopédie de la mythologie, Sequoia, 1962 / Grand dictionnaire des symboles et des mythes, Nadia Julien, Marabout, 1997 / Le Prince, Machiavel, traduction par Jean Anglade, Livre de Poche, 1977 / Œuvres de Dante Alighieri, La Divine comédie, traduction A. Brizeux, Charpentier Libraire Editeur, 1853.