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19 mars 2011 6 19 /03 /mars /2011 10:10

                               

 

 

1. Dana, Déesse-Mère de lIrlande.

 

Dana (=Rapide, en gaélique) est lun des noms de la Grande Déesse irlandaise. Il faut vraisemblablement rapprocher ce nom de ceux du Danube et du Don, par exemple, de même que de la Dane, dans le Cheshire. Ceci dit, on rapproche également ce dernier nom de celui de la déesse gauloise Damona. A linstar de la déesse Brighid, Dana (ou Danu, Ana, Anu) est un des visages de la Déesse-Mère universelle, fécondatrice, génératrice et nourricière. Le culte de la Déesse-Mère est, sans doute, dans nos régions, antérieur à larrivée des peuples indo-européens, parmi lesquels on compte les Celtes. La Grande Déesse, que lon dit Mère, Fille et Epouse des dieux, correspondrait ainsi à danciennes figures matriarcales. Les divinités de lIrlande ancienne sont appelées Tuatha dé Danann, soit le clan (peuple, tribu, les gens) de la déesse Dana. De fait, Dana est la Mère mythique de ces dieux qui régnèrent sur lIrlande. En Celtie insulaire, la Déesse-Mère incarne non-seulement la Fertilité, mais aussi la Souveraineté. A ce titre, le roi celte se liait solennellement à la Déesse, afin de garantir la prospérité de son royaume. Il est souvent fait référence à ce rite dintronisation que lon retrouve tant dans les textes que dans lhistoire du monde celtique. Ainsi voit-on le roi de Tara (roi suprême de lIrlande, sans pouvoir réel) épouser Eriu qui nest autre quun des nombreux visages de la Déesse-Mère irlandaise : le roi épouse la Terre-Mère souveraine Eriu/Dana /Brighid/Irlande. A la Dana celtique correspondent les visages dautres déesses-mères celtiques, comme nous lavons déjà signalé. Ainsi est-il avancé que si en Gaule celtique, la Diane gallo-romaine fut la déesse la plus vénérée, cest essentiellement du fait dune confusion avec Diva Ana dont le nom est prononcé, en bas-latin, « divouana ». La vénération dont Diane/Diana a fait lobjet auprès des Celtes de Gaule, résulte donc peut-être dune assimilation de cette déesse méridionale à la Grande Déesse celtique. Mais cette thèse se trouve parfois contestée.

 

2. Les seins de Dana.

 

De manière imagée, on retrouve la trace dAna dans le relief même de la terre dIrlande. Ainsi, à vingt kilomètres de Killarney, dans la baronie de Magunhy (Kerry, Irlande), trouve-t-on deux collines nommées The Paps of Anu (=les mamelons/seins dAnu) ou simplement, The Paps. En gaélique, on les nomme Dé Chich Anann (=les seins dAnu), du fait de la rondeur des deux collines qui nest pas sans rappeler la forme dune poitrine féminine. Dans le récit irlandais des Enfances de Finn, il est dit que chaque nuit de Samain (fête celtique du 1er novembre), de nombreux Irlandais venaient courtiser Ele, une très belle fille qui vivait dans le Sidh (domaine des Tuatha dé Danann) de Bri Ele (ou Brig Ele). Mais chaque année, lun de ces soupirants y était tué. Un jour, cest le poète Oircbel qui fut assassiné, ce qui décida le héros Finn, à le venger. Fiacail, fils de Conchem, conseilla à Finn de sasseoir entre les deux Mamelons dAnu, cest-à-dire entre les deux tertres peuplés de fées, et dy faire le guet. Lorsque vint Samain, les tertres souvrirent et Finn fut alors témoin de dialogues et déchanges de nourriture. Soudain, il jeta sa lance qui frappe de plein fouet celui qui nétait rien dautre que lassassin dOircbel. Par la suite, pour récupérer sa lance, Finn se saisira dune des femmes du tertre, nacceptant de la libérer quen échange de la promesse de lui renvoyer son arme.

 

3. La Déesse-Mère mégalithique.

 

Sur certaines constructions mégalithiques, on a trouvé des représentations schématisées de la Déesse-Mère et aux côtés de ces gravures, on a trouvé des représentations de nombreuses haches, comme dans la chambre de la Table des Marchands et au dolmen de Gavrinis, dans le Morbihan (Bretagne, France). Or, les croyances liées à la foudre bénéfique ont vraisemblablement subsisté dans les traditions des populations rurales européennes jusquà une époque récente, sous la forme des « dents de foudre » ou encore, des « haches de Dieu », qui désignent, en fait, des silex et outils néolithiques. On prétendait jadis que les places où se trouvaient ces objets avaient été frappés par la foudre, larme du Dieu du Ciel (Zeus-Jupiter, à lorigine). Ces objets liés à la foudre et enfouis au sein même de la Terre, rappelle le mythe du Ciel-Père fécondant la Terre-Mère. Les représentations Haches-Déesse-Mère étant les plus anciennement connues, nous pouvons probablement dater ce mythe de lâge des mégalithes, soit 5000 à 1500 avant lère chrétienne. Cette tradition des pierres de foudre peut également être mise en relation avec les aérolithes que lon retrouve dans dautres cultes, telle la « Pierre Noire » de Pessinonte, liée au culte de Cybèle, la Grande Déesse-Mère orientale. Pour les peuples mégalithiques, sédentaire et agricoles, la relation entre le Ciel-Père et la Terre-Mère était, bien évidemment, primordiale et vitale du point de vie de leur quotidien. Dans nos régions, ce mythe serait donc dorigine mégalithique et non dorigine indo-européenne. Pour terminer, citons encore la pierre plate support gravé- de Lcmariaquer, dans le Morbihan (Bretagne, France), qui constitue la représentation néolithique archétypale, dite « idole-chasuble », de la Déesse-Mère. Les petits cercles concentriques et les doubles croissants firent lobjet de plusieurs interprétations : seins, ornements, pommes

 

4. Dana-sainte Anne : lhistoire dune christianisation.

 

Si la déesse Brighid est devenue, du fait de la christianisation, sainte Brigitte de Kildare, sainte prédominante dans lIrlande catholique, Dana, quant à elle, doit être rapprochée de sainte Anne. Rappelons que dun point de vue biblique, sainte Anne appartient au peuple hébreu, sans la moindre référence celtique, cela va sans dire. Anne, dit-on, appartenait à la tribu de Juda et était de la race de David. On fit de cette Anne hébraïque la mère de la Vierge Marie et laïeule de Jésus de Nazareth, bien que cela ne soit dit dans aucun texte canonique. Anne épousa Joachim et de leur union naquit Marie, la mère de Jésus. Lorigine de cette histoire, que lon ne retrouve donc pas dans les Evangiles, est à rechercher dans un texte apocryphe connu sous le nom de « Protévangile de Jacques » : « Le nom de « Protévangile » fut donné au 16ème siècle par lhumaniste français qui le publia en Occident, parce que le texte relate des événements antérieurs aux récits des évangiles canoniques. Le plus ancien manuscrit connu (Papyrus Bodmer 5) porte le titre : Nativité de Marie, Révélation de Jacques. » (Evangiles apocryphes, France Quéré, p. 67). Et voici ce que lon peut y lire : « Six mois environ sécoulèrent ; le septième, Anne enfanta. « Quai-je mis au monde ? » demanda-t-elle à la sage-femme. Et celle-ci répondit : « Une fille. » Et Anne dit : « Mon âme a été exaltée en ce jour ! » Et elle coucha lenfant. Quand les jours furent accomplis, Anne se purifia, donna le sein à lenfant et lappela du nom de Marie. » (ibid., p.172 / Protévangile de Jacques, 6.2.). Au 1er siècle de lère chrétienne, le corps de sainte Anne, mère de la Vierge Marie, aurait été transporté dans les Gaules et enfoui dans un souterrain dApt, « à lépoque des persécutions » (contre les chrétiens). Il fut, dit-on, « miraculeusement » découvert sept siècles plus tard, et devint lobjet de pélerinages. A noter que lon a également retrouvé à Apt une dédicace honorant une déesse celtique nommée Albioriga. Ce nest toutefois quau 17ème siècle, en Bretagne, à Auray, que le culte de sainte Anne acquerra sa véritable popularité. Sans doute faut-il trouver dans la proximité géographique de la Bretagne insulaire, lorigine de la perpétuation du culte de la déesse Ana sous sa forme christianisée de sainte Anne. Au Moyen Âge, nombre de villages bretons portent le nom dAnne/Ana. Ainsi, Commana est attesté au 11ème siècle sous la forme Cummana et est très certainement antérieur au christianisme. Ana aurait donc spontanément été christianisée et sanctifiée par le peuple, à moins quelle nait fait lobjet dune « translation du culte ». Aussi, si la mère de la Vierge Marie est, bien évidemment, dorigine hébraïque, la grande popularité de la sainte dans les pays celtiques sexplique sans doute aussi, en grande partie, par son homonymie avec Ana/Dana.

 

5. Sainte Anne dAuray.

 

Lhistoire de la construction de la basilique de Sainte-Anne dAuray, dans le Morbihan, peut peut-être nous éclairer sur lorigine pré-chrétienne et païenne du culte rendu à sainte Anne. Selon la tradition chrétienne, la découverte dune statuette décrite, bien évidemment, non comme une représentation de la Déesse-Mère Ana, mais comme celle de sainte Anne, aurait été accompagnée de circonstances extraordinaires et de prodiges sans nombre. Ainsi, en 1625, un certain Yvon Nicolazik, paysan de Ker-Anna, prétendit avoir eu une vision : sainte Anne lui étant apparue en songe, lui aurait fait part de son souhait de voir reconstruire une chapelle qui aurait autrefois existé à Bosenno. Lannée suivante, Nicolazik découvrit une statue de bois qui était peut-être une statue gallo-romaine de la déesse Ana. Toutefois, pour le bon peuple christianisé dArmorique, il ne fit aucun doute quil sagissait là dune statuette de « Santez Anna », grand-mère de Jésus. La basilique de Sainte-Anne dAuray fut donc construite à cet endroit et un pèlerinage y fut instauré au 17ème siècle. La basilique actuelle la remplaça au 19ème siècle. Malgré la filiation que lon peut supposer entre le culte de la Déesse-Mère celtique et celui de la sainte chrétienne, il serait excessif de voir dans tous les aspects du pardon de Sainte-Anne dAuray, un prolongement chrétien ou christianisé dune antique fête païenne célébrée en lhonneur de la déesse Ana. Pour la petite histoire de cette basilique, ajoutons encore quune relique présumée de sainte Anne, ainsi que plusieurs ornements, furent donnés à Anne dAutriche, épouse de Louis XIII, par le conseiller de la ville dApt, et furent ensuite offerts par la reine à la basilique dAuray, en remerciement pour la naissance du futur Louis XIV. Sainte-Anne dAuray fait toujours lobjet dun pèlerinage et sainte Anne est fêtée le 26 juillet.

 

6. Ker-Anna, un sanctuaire celtique.

 

Le lieu où sélève aujourdhui encore la basilique de Sainte-Anne dAuray portait, depuis des temps immémoriaux, le nom de Ker-Anna, comme nous lavons déjà dit. Un sanctuaire païen y avait été élevé à une époque si ancienne quau début du 8ème siècle, il était, de vieillesse, tombé en ruine. Lemplacement de cet ancien sanctuaire était demeuré sacré et lon prétendait que les animaux de la ferme eux-mêmes refusaient dy porter le soc de la charrue. On peut donc voir dans ce lieu tabou un exemple classique de sanctuaire celtique. A lépoque de la Tène ancienne (-500 / -250), lenclos était peut-être à lui seul un embryon de sanctuaire. Le lieu de culte nétait rien dautre quune aire sacrée, limitée par un fossé. Le temenos (ou templum) est délimité par ce terrain découpé. Un simple trait sur le sol, un sillon de charrue, un fossé, suffisait à délimiter lespace sacré.   

 

7. Visualisation.       

 

Dana est parfois représentée assise, les cheveux dénoués sur les épaules, entourées de gravures enfantines, des pommes figurées sur son ventre, visions dartistes qui diffèrent clairement des représentations schématiques de la Déesse-Mère que lon a trouvées sur des constructions mégalithiques.

 

 

Eric TIMMERMANS.©

Bruxelles, le 16 mars 2011.

 

 

Sources : Evangiles apocryphes, France Quéré, Seuil, 1983 / Lépopée celtique dIrlande, Jean Markale, Petite Bibliothèque Payot, 1973 / Les Celtes Les dieux oubliés, Marcel Brasseur, Terre de Brume Editions, 1996 / Les Celtes Histoire et dictionnaire, Venceslas Kruta, Robert Laffont, 2000 / Nouveau dictionnaire de mythologie celtique, Jean Markale, Pygmalion, 1999.

 

 

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