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19 mars 2011 6 19 /03 /mars /2011 10:20

 

 

                                        

 

1. Asmodée : étymologie.

 

Asmodée est la forme grecque du nom dun démon biblique provenant soit du perse azmuden (=tenter), soit de lhébreu schâmad (=perdre ou destructeur). Lorigine perse semble la plus probable. Ainsi, dans le livre de lAvesta Aêshmô-daêva, Aêshmadaêva ou encore Aeshma =la Fureur : Le Dieu du Mal, p. 16) apparaît bien comme lun des démons du parsisme. Cest un esprit démoniaque qui, pour les Perses, personnifiait la Colère, la Fureur. Il est dit dailleurs que les Daêva (démons) décidèrent de sunir à Aêshma pour corrompre par elle lexistence des hommes. En hébreu, on le nomme Asmodaï, Asmoday ou Ashmedaï, ce qui signifie « Celui qui fait périr ». Cela fait référence à lhistoire dAsmodée telle quelle nous lest présentée dans le Livre de Tobie.

 

2. Asmodée dans le Livre de Tobie.

 

Sarah (ou Sarra), une fille de Raguel (ou Ragouël), vivait à Ecbatane, une ville des Mèdes et elle avait été mariée successivement à sept maris qui tous avaient trouvé la mort. Aussi laccusa-t-on bientôt dêtre elle-même responsable de leur mort.

 

En vérité, les maris de Sarah avaient été tués par le démon Asmodée (Tobie 3 : 8).

 

Crampon : « Car elle avait été successivement donnée en mariage à sept maris, et un démon, nommé Asmodée, les avait fait mourir aussitôt quils étaient venus auprès delle. »

 

Jérusalem : « Il faut savoir quelle avait été donnée sept fois en mariage, et quAsmodée, le pire des démons, avait tué ses maris lun après lautre, avant quils se soient unis à elle comme de bons époux. Et la servante de dire : « Oui, cest toi qui tues tes maris ! En voilà déjà sept à qui tu as été donnée, et tu nas pas eu de chance une seule fois ! »

 

Larchange Rafaël fut donc envoyé pour délivrer Sarah du terrible démon (Tobie 3 : 17 ou 24-25) et pour lui permettre de se marier à Tobie, fils de Tobit. Tobie expulsa finalement le démon en lobligeant à respirer la fumée des entrailles brûlées dun poisson.

 

Crampon (3 : 24-25) : « Ces deux supplications furent exaucées en même temps devant la gloire du Dieu souverain ; et le saint ange du Seigneur, Raphaël, fut envoyé pour guérir Tobie et Sara, dont les prières avaient été prononcées en même temps en présence du Seigneur. »  

 

Jérusalem (3 : 17) : « Et Raphaël fut envoyé pour les guérir tous les deux. Il devait enlever les taches blanches des yeux de Tobit, pour quil voie de ses yeux la lumière de Dieu ; et il devait donner Sarra, fille de Ragouël, en épouse à Tobie, fils de Tobit, et la dégager dAsmodée, le pire des démons. Car cest à Tobie quelle revenait de droit, avant tous les autres prétendants. A ce moment-là, Tobit rentrait de la cour dans la maison ; et Sarra, fille de Ragouël, de son côté, était en train de descendre de la chambre. »

 

Tobie expulsa finalement le démon en lobligeant à respirer la fumée des entrailles brûlées dun poisson. Ce moyen pour chasser le démon fut donné par Rafaël à Tobie dans les versets qui évoquent la halte au bord du Tigre et la capture dun poisson qui avait tenté de dévorer Tobie ou, à tout le moins, davaler son pied (Tobie 6 : 8-9).

 

Crampon : « Lange lui répondit : « Si tu poses sur des charbons une petite partie du cœur, la fumée qui sen exhale chasse toute espèce de démons, soit dun homme, soit dune femme, en sorte quils ne peuvent plus sen approcher. Et le fiel sert à oindre les yeux couverts dune taie, et il les guérit. »

 

Jérusalem : « Il répondit : « On brûle le cœur et le foie du poisson, et leur fumée semploie dans le cas dun homme ou dune femme, que tourmente un démon ou un esprit malin : toute espèce de malaise disparaît définitivement sans laisser aucune trace. Quant au fiel, il sert donguent pour les yeux, quand on a des taches blanches sur lœil : il ny a plus quà souffler sur les taches pour les guérir. »

 

Asmodée senfuit alors en Egypte par les airs où Rafaël le poursuivit avant de lenchaîner dans le désert de la Haute-Egypte (Tobie 8 : 2-3).

 

Tobie 8 : 2-3 :

 

-Crampon : « Tobie, se ressouvenant des paroles de lange, tira de son sac une partie du foie et la posa sur des charbons ardents. Alors lange Raphaël saisit le démon et lenchaîna dans le désert de la Haute-Egypte. »

 

-Jérusalem : « Tobie se souvint des conseils de Raphaël, il prit son sac, il en tira le cœur et le foie du poisson, et il en mit sur les braises de lencens. Lodeur du poisson incommoda le démon, qui senfuit par les airs jusquen Egypte. Raphaël ly poursuivit, lentrava et le garrotta sur-le-champ. »

 

Ce récit a inspiré à Rembrandt lœuvre intitulée LAnge Raphaël quittant Tobit et sa famille (exposé au Louvre) et dans le Paradis perdu, John Milton fait également référence à cette légende biblique qui met en scène lange Raphaël apprenant à Tobie le moyen de chasser Asmodée : « Il en était plus satisfait que ne le fut Asmodée de la fumée du poisson qui le chassa, quoique amoureux, dauprès de lépouse du fils de Tobie ; la vengeance le força de fuir de la Médie jusquen Egypte, où il fut fortement enchaîné. » (IV, 168-171).  

 

3. Asmodée dans la tradition hébraïque.

 

3.1. La tradition hébraïque considère le plus souvent quAsmodée-Ashmedaï « est le fils de Naamah, la sœur de Tubal-Caïn, mais certains pensent quil est le fils du roi David et dAgrath, la reine des démons. » (La kabbale, G. Scholem, p.492).

 

3.2. On dit également que si Lilith la Vieille est lépouse de Samaël, Lilith la Jeune, elle, serait lépouse dAshmedaï.

 

3.3. Lon dit aussi quAsmodée serait lun des sept démons Shedim engendrés par lunion dAdam et Lilith.

 

3.4. Asmodée-Ashmedaï, qui est également considéré selon certaines sources comme lange gardien dIshmael, apparaît dans la Kabbale juive sous les traits dun « roi des démons ». Il est même précisé que les démons qui sont sous la domination dAshmedaï et qui sont dailleurs susceptibles daider les hommes et de leur accorder des faveurs, « reconnaissent la Torah et sont considérés comme des « démons juifs » (La kabbale, G. Sholem, p.490) Ainsi faut-il croire quAsmodée-Ashmodaï est parvenu à se libérer des chaînes dont larchange Rafaël avait usé pour lemprisonner en Egypte, vu quune tradition hébraïque considère que ce « roi des démons » mourut en martyr avec les juifs de Mayence, en 1096 ! Une autre thèse kabbaliste considère « quAshmedaï est simplement le titre de la fonction du roi des démons, exactement comme Pharaon est le titre de la fonction du roi dEgypte, et numériquement équivalent à Pharaon. » (La kabbale, G. Scholem, p.490).  

 

3.5. Dans un texte rabbinique nommé le Testament de Salomon, Asmodée apparaît comme un ennemi de lunion conjugale.

 

3.6. On dit aussi quAsmodée parvînt à détrôner le roi Salomon lui-même, mais que ce dernier, grand magicien, finit par le vaincre et à lobliger à bâtir le temple de Jérusalem sans utiliser un seul instrument métallique.

 

3.7. On voit encore en Asmodée un Ange de la destruction.

 

3.8. Asmodée serait aussi lantique serpent qui séduisit Eve dans le jardin dEden.

 

3.9. Asmodée est parfois confondu avec Samaël et apparaît, dans les croyances populaires, comme un démon de la luxure, cruel et débauché.

 

4. Asmodée dans la démonologie chrétienne et visualisation.

 

4.1. Dans le Tractatus de confessionibus maleficorum et sagarum, Peter Binsfeld (1540-1603), évêque suffragant de Trèves, prétend quà chaque péché capital correspond un démon particulier. A la Luxure correspond Asmodée. Il sème donc lerreur et la dissipation, le trouble dans les ménages et, jaloux des jeunes filles, il met tout en œuvre pour faire échouer leur mariage, ainsi quil le fit, comme nous lavons vu, avec Sarah. Les théologiens chrétiens  opposent à neuf ordres danges, neuf ordres de démons. Ils désignent Asmodée comme le chef de lOrdre des Vengeurs des crimes.

 

4.2. Dans sa Pseudomonarchia daemonum, Jean Wier le décrit comme un roi puissant doté de trois têtes : la première ressemble à celle dun taureau, la seconde à celle dun homme et la troisième à celle dun bélier. Il est doté dune queue de serpent et de pieds doie. Son haleine est enflammée. Il chevauche un dragon et porte dans ses mains un étendard et une lance. Cest vraisemblablement de cette description haute en couleur que lon sest inspiré pour représenter Asmodée dans la version illustrée du Dictionnaire infernal (1863) de Collin de Plancy.

 

4.3. On dit quAsmodée, que lon considère comme le surintendant des maisons de jeu de lEnfer, commande à 72 (ou 40) légions de démons. Il est dit, à ce sujet, que des noms ont été donnés aux chefs des armées (ou légions) des démons mais non aux membres de celles-ci, voilà pourquoi on ne parlera que d « Asmodée et ses armées », par exemple, sans mention des innombrables démons placés sous son commandement. On dit aussi dAsmodée quil enseigne aux hommes la manière de se rendre invisibles, de même quil leur apprend la géométrie, larithmétique, lastronomie et les arts mécaniques.

 

4.4. Au 17ème siècle, dans le contexte de laffaire Gaufridy, affaire de possession diabolique au moins aussi célèbre que celle de Loudun, Asmodée apparaît comme lun des 6.666 démons ( !) qui possèdent Madeleine Bavent. Lon soumit aussi Louis Gaufridy à lépreuve de la recherche des marques diaboliques. Les zélés inquisiteurs ne tardèrent évidemment pas à en trouver autour des parties génitales dudit Gaufridy et den attribuer lorigine à Asmodée lui-même, démon qui apparaissait, dans cette énième affaire de cruelle supercherie religieuse, comme étant du plus haut rang

 

4.5. En outre, à la même époque, nous retrouvons Asmodée dans laffaire des religieuses possédées de Loudun (1632-1634) Sous le nom dAsmodée des Trônes, le démon possède, avec huit comparses également démoniaques, la Supérieure du Couvent des Ursulines, sœur Jeanne des Anges, alias Jeanne de Belciel qui, dans sa confession, dit notamment dAsmodée que « ce malheureux esprit se présentait à moi en des formes horribles, et, comme il voyait que je ny prenais pas plaisir par le secours de la grâce, il me battait avec une telle violence que souvent jen étais toute meurtrie. » Mais Asmodée fut finalement exorcisé le 8 octobre 1632. Dans la même affaire, on voit Asmodée intervenir dans le cas de possession de sœur Agnès. Le démon occupait, dit-on, une place sous le cœur de cette religieuse. Son signe de sortie fut ordonné par lexorciste car le démon refusait de signer sa sortie, à savoir, dessiner une fleur de Lys sur la main gauche de la religieuse. On prétendit même avoir retrouvé une lettre dAsmodée signant ladite sortie !

 

4.6. A la Bibliothèque nationale de Paris est conservé un manuscrit, daté de 1729, qui nest autre quun pacte signé par l « Archidiable Asmodée » lui-même ! (LAnge déchu, Centini, p. 127).

 

4.7. Avec Astaroth, Asmodée sera invoqué au cours d’une messe noire, menée pour le compte de la marquise de Montespan par l’abbé Guibourg, qui qualifiera ces deux démons de « princes de l’amitié » et qui leur sacrifiera un enfant, afin que ladite marquise de Montespan soit la seule bénéficiaire des attentions du roi Louis XIV.

 

4.8. Ajoutons que le nom dAsmodée est repris dans la liste des démons établie par lEglise au canon 7 du Concile de Braga (560-563).

 

 

Eric TIMMERMANS©

Bruxelles, le 16 mars 2011.

 

 

Sources : Bible de Jérusalem, Cerf, 1998 / Bible du chanoine Crampon, Société de Saint Jean lEvangéliste, 1939 / Dictionnaire du Diable, Roland Villeneuve, Omnibus, 1998 / Dictionnaire du diable, des démons et sorciers, Pierre Ripert, Maxi-Poche Références, 2003 / Dictionnaire encyclopédique de la Bible, Pierre Norma, Maxi-Poche Références, 2001 / La kabbale, Gershom Scholem, Cerf, 1998 / LAnge déchu, M. Centini, Editions de Vecchi, 2004 / Le Dieu du Mal, Hervé Rousseau, PUF, 1963 / Le Paradis perdu, John Milton, NRF-Gallimard, 2007 / Le Prince de ce monde, Nahema-Nephtys et Anubis, Editions Savoir pour Être, 1993 / Les Diables de Loudun, Aldous Huxley, Plon, 1979 / Livres des superstitions (mythes, croyances et légendes), Eloïse Mozzani, Robert Laffont, Coll. « Bouquins », 1995.

 

 

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