Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

SERAPIS, UNE METAMORPHOSE DU TAUREAU APIS


 

 

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/6a/GD-EG-Alex-Mus%C3%A9eNat041.JPG

 

 

 

 

1. Sérapis, chef des démons ?

 

Le christianisme fit du dieu gréco-égyptien Sérapis un « chef des démons » et lassimila à Belzébuth : « Dans sa préparation évangélique (IV, 22, 16), Eusèbe de Césarée (vers 270-340) nous apprend que les esprits qui règnent sur la nuit ont pour chefs des démons Sérapis et Hécate, cest-à-dire Belzebul selon la Bible. » (Chasses fantastiques et cohortes de la nuit au Moyen Âge, p.28).

 

Le projet, mené à bien dès 392, dimposition du christianisme comme religion dEtat et dinterdiction des religions traditionnelles dites « païennes », par Théodose, eut notamment pour conséquence la mise à sac du sanctuaire de Sérapis (Serapeum ou Serapéion) dAlexandrie et la destruction de sa statue de culte.

 

La furie chrétienne sen prit ainsi à la divinité qui était, aux yeux des adeptes de la nouvelle religion, le symbole dune religion traditionnelle honnie : « A Alexandrie, en 389, des chrétiens attaquent un temple de Sérapis et un Mithraeum. Publiquement ils exhibent et moquent les idoles païennes. Les fidèles se révoltent « surtout les philosophes » disent les textes Une émeute suit, avec de part et dautre un nombre considérable de morts. » (Traîté dathéologie, Michel Onfray, p.184).

 

« En 391, lévêque dAlexandrie donne lordre de détruire le Sérapéion la bibliothèque part en fumée » (Ibid., p.185).

 

« Son grand temple dAlexandrie, le Sérapéum, abritait au moins une partie de la fameuse bibliothèque. Il fut détruit, ainsi que toutes les traces du culte du dieu, au cours du déicide perpétré par les chrétiens à la fin du IV e siècle. » (Petit dictionnaire des dieux égyptiens, Alain Blottière, p.119).

 

2. Sérapis-Apis : une origine égyptienne.

 

A lorigine de Sérapis, on trouve le taureau sacré de Memphis : Apis.

 

Aux temps archaïques, ce dernier fut une divinité de la fécondité symbolisant la force physique, la puissance sexuelle, la fertilité, labondance. Apis fut le plus important taureau sacré de lEgypte ancienne.

 

Né dune génisse fécondée par le dieu Ptah, dieu créateur de toute vie, Apis apparaît comme une incarnation, une manifestation de Ptah, dieu procréateur par excellence, incarné dans un animal vivant.

 

Cest pour cette raison que lon élevait un taureau dans une étable située à proximité du temple de Ptah. A sa mort, il était momifié et on procédait ensuite à son inhumation, dans un sarcophage de basalte, de granit ou de bois précieux, dans les galeries souterraines du Serapeion (ou Serapeum), la nécropole de la capitale, à Saqqara. Cest à partir du Nouvel Empire (-1585 / -1090) que cette nécropole sera réservée aux sarcophages des taureaux Apis momifiés. Légyptologue Auguste Mariette fera la découverte de ce Serapeum, le 12 novembre 1851. Nous expliquerons plus loin lorigine de ce terme de Serapeum, qui renvoie clairement au nom de Sérapis.

 

Les prêtres de Ptah étaient chargés des cérémonies funèbres. Mais au deuil succédait rapidement la joie lorsquon amenait lanimal choisi par les prêtres pour succéder au taureau défunt. Ce taureau était choisi sur base de critères physiques précis, tels quune robe identique à celle de son prédécesseur, la présence sur le front de la forme dun triangle blanc sur sa pointe, une marque en forme daigle sur le dos, les poils de la queue double, une marque en forme de scarabée sous la langue. Ces critères évoqués par Hérodote, correspondaient à la visualisation dApis, à savoir un taureau de couleur noire, dont le front était orné dune étoile et dun disque solaire muni dun uraeus (=serpent) entre les cornes. On lassocie également à limage dun vautour aux ailes déployées et à un scarabée ailé. Apis est aussi parfois représenté avec un croissant posé entre les cornes ou sous laspect dun homme à tête de bovin.

 

Apis était adoré durant toute sa vie, puis remplacé à sa mort, environ tous les quatorze ans. Tous ceux qui avaient pris part aux funérailles grandioses du taureau Apis avaient le privilège de déposer au Serapeum une stèle votive afin de sassurer la protection du dieu. Quant aux mères des Apis défunts, elles étaient ensevelies dans lIseum.

 

Le nom dApis est évoqué dans la Bible (Jérémie 46 : 15) dans un contexte de propagande anti-poplythéiste. Nous reprenons ici les deux versions de la Bible du chanoine Crampon (1939) et de celle de la Bible de Jérusalem (1998) :

 

Crampon : « Quoi ! ton héros est renversé ! Il ne sest pas tenu debout, car Yaweh la jeté à terre. » Crampon y voit une allusion au taureau Apis, les termes « ton héros » désignant, daprès lui, le chef de larmée dEgypte. Il précise toutefois en bas de page que « le bœuf Apis était honoré surtout en Basse-Egypte. Le mot hébreu se dit quelquefois des taureaux ; on peut y voir au moins une allusion au bœuf Apis. »

 

Dans la Bible de Jérusalem, le verset fait clairement référence à Apis : « Pourquoi Apis a-t-il fui ? Pourquoi ton Puissant na-t-il pas tenu ? Oui, Yahvé la culbuté, » Et il est encore précisé en bas de page que « le taureau Apis, incarnation du dieu Ptah, était le protecteur de Memphis ; vivant, il était nourri dans un temple ; mort, il devenait un Osiris-Apis, doù le nom de Serapeum, nécropole où il était embaumé et enseveli. » Nous voyons ici clairement sopérer la fusion entre Apis et Osiris après ladoption par celui-ci de la royauté du monde des morts.

 

Dans les derniers temps de lindépendance de Memphis, lApis défunt était honoré sous le nom dOsiris-Apis ou Osorapis (représenté en homme momifié à tête de taureau), qui devint par contraction et « grécisation », Sérapis, suite à lévolution suivante : Osiris-Apis, Osor-Hapis, Osorapis, O Sarapis, Sarapis, Sérapis. Les Egyptiens voyaient donc en Sérapis une union dApis et dOsiris et cest à cette origine osirienne que Sérapis doit sa fonction de dieu de la fertilité (qui le fit assimiler aussi à lHadès hellénique, dieu des morts et de la fertilité).

 

Ajoutons que Seth se servit dApis pour confectionner lenveloppe mortuaire dOsiris, Apis étant considéré comme le porteur de lâme dOsiris.

 

3. Introduction du culte de Sérapis dans lEgypte hellénique et le monde gréco-romain.

 

Pour des raisons politiques, Ptolémée de Macédoine (règne : -323 / -285) introduisit le culte de Sérapis, en tant que dieu national de lEgypte. Plus précisément, on ne sait avec exactitude si cest le premier ou le second Ptolémée qui décida dintroduire ce culte dun dieu dynastique gréco-égyptien, mais selon une légende dépoque romaine, Ptolémée Ier aurait une nuit rêvé dun dieu quil prétendit ne pas connaître et qui était vénéré dans lîle de de Sinope. Ce dieu lui aurait demandé de transporter sa statue à Alexandrie, capitale du royaume lagide. On reconnut dans ce dieu, Hadès, le dieu des Enfers, auquel on donna le nom de Sérapis. Mais comme nous lavons vu, ce ne fut là, en réalité, quune récupération dun dieu égyptien qui, à cette époque, existait depuis peu à Memphis : Osorapis. Sérapis, auquel on donna une apparence humaine (celle dun dieu barbu semblable à Zeus) et sa parèdre, Isis, apparaîtront désormais comme une contrepartie divine du couple royal, auquel on ajoutera lHarpocrate, comme rejeton du couple divin, ce qui permit de constituer une triade, selon une tradition populaire en Egypte.

 

Sérapis devint rapidement populaire parmi les Grecs dAlexandrie et dautres cités du Delta du Nil et du Fayoum, puis son culte, qui allait durer sept siècles, se répandit et atteignit, à lépoque romaine, les confins les plus éloignés, notamment à Kysis, à lextrême sud de loasis de Kharga (cest là que lon découvrit, en 1989, le trésor dun temple de Sérapis).

 

En Grèce, Sérapis fut vénéré comme une union de Zeus et dHadès, Sérapis prenant le plus souvent la forme de ce dernier coiffé dun calathos (=corbeille ou plus précisément, un récipient servant à mesurer le grain). On le représente aussi parfois portant une couronne « atef ». On le voit souvent en compagnie de Cerbère, ce qui souligne son caractère de dieu souterrain des Enfers, Cerbère étant le gardien de ces derniers.

 

Sérapis possédait également les caractéristiques de Dionysos, Asclépios et Poséidon. Il était à la fois un dieu de la fertilité, un guérisseur (fonction qui deviendra finalement prépondérante), un sauveur, un faiseur de miracles, un protecteur des plus défavorisés, de même que des marins et également, le dieu des morts.

 

En Egypte, Hadrien lui dédia un temple, à Thèbes, mais Sérapis fut également adoré à Rome même. Moins populaire quIsis, il nen possédait pas moins plusieurs sanctuaires dans la capitale romaine, où il passait pour être un dieu guérisseur.

 

Sur le Quirinal (à lemplacement de la Villa Colonna), Caracalla lui consacra un gigantesque temple le Serapeum-, soutenu par des colonnes de vingt mètres de haut et de deux mètres de diamètre, sur une surface de 13.000 m².

 

Certains empereurs romains des 2e et 3e siècles, vouaient, en effet, à Sérapis, une dévotion particulière, comme dieu universel, sous le nom de Zeus Hélios Sarapis. Caracalla est lui-même honoré par une dédicace sous le nom de Philosarapis (=aimé de Sarapis) et de Kosmokratôr (= souverain universel). Or, ce dernier titre est donné à Sérapis par une inscription syncrétiste trouvée dans le temple de Mithra aménagé sous les thermes de Caracalla : « Zeus Sarapis Hélios souverain universel, invaincu (ou invincible) ne sont quun seul et même dieu » (R. Turcan)

 

On retrouva même des traces du culte de Sérapis jusquaux confins de lempire romain, ainsi dans la celtique île de Bretagne, à Eburacum (actuelle York).

 

Sérapis, comme Hélios et Attis, est coiffé des rayons héliaques. A noter, à ce sujet, quApis avait également adopté lidentité solaire du dieu égyptien Rê, qui est représentée par un disque solaire placé entre ses cornes.

 

Eric TIMMERMANS

Bruxelles, le 22 mars 2010.

 

 

Sources : Bible de Jérusalem, Cerf, 1998 / Bible du chanoine Crampon, Société de Saint-Jean lEvangéliste, 1939 / Chasses fantastiques et cohortes de la nuit au Moyen Âge, Claude Lecouteux, Imago, 1999 / Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Joël Schmidt, Larousse, 1965 /Dictionnaire de mythologie et de symbolique égyptienne, Robert-Jacques Thibaud, 1996 / Dictionnaire historique de lEgypte, Pierre Norma, Maxi Poche Références, 2003 / Dieux et déesses de lEgypte ancienne, Bernard Van Rinsveld, Musées Royaux dArt et dHistoire de Bruxelles, 1994 / Encyclopédie de la mythologie, Sequoia, 1962 / Grand dictionnaire des symboles et des mythes, Nadia Julien, Marabout, 1997 / Héliogabale et le sacre du soleil, Robert Turcan, Albin Michel, 1985 / Petit dictionnaire des dieux égyptiens, Alain Blottière, Zulma, 2000 / Traîté dathéologie, Michel Onfray, Grasset et Fasquelle, 2005.

Serapis Bey

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
R
<br /> Clair, rigoureux, précis : que voilà un article intéressant sur un blog que le hasard vient de me faire découvrir ...<br /> <br /> <br />
Répondre