1. Le dieu celtique Nodons-Nodens.
Le nom du dieu Nodens (ou Nodons, Nudens) est attesté cinq fois sur le territoire britannique, deux fois à Cockersand Moss et trois fois à Lydney Park. Il apparaît comme un équivalent britannique de l’Irlandais Nuada.
Dans son De bello gallico, César assimile Nodons au dieu romain Mars : Martem bella regere (=régir). Le culte de Nodons était vraisemblablement lié à la fonction royale qui n’existait encore que dans peu de régions celtiques, lors de la conquête romaine. César souligne que cette fonction royale devait impliquer anciennement l’abstention du combat et que le commandement royal était symbolique, ce qui renvoie, par exemple, au rôle du roi sur un échiquier. Il remarque également que les Celtes dédiaient au roi le butin acquis au cours de la guerre, quant aux prisonniers de guerre, ils étaient immolés et leurs dépouilles étaient empilées dans un lieu sacré. Un vol d’offrandes était puni de mort. Il est toutefois probable que le culte de Nodons avait déjà disparu lors de la conquête romaine des Gaules (-57 à –52), ce culte ayant sans doute été aboli en même temps que la royauté.
Pour l’anecdote, signalons l’existence, en France, d’un lieu-dit situé près de Lyon et nommé Fons Nodons.
2. L’Irlandais Nuada.
Dans la tradition celtique d’Irlande, Nuada apparaît sinon comme un « dieu de la guerre », à tout le moins, comme un dieu guerrier. Dieu de souveraineté, Nuada est aussi le roi des Tuatha dé Danann (=Gens de la déesse Dana), soit, notamment, les dieux de l’ancienne Irlande.
Au cours de la première bataille de Mag Tured, Nuada perdit sa main droite, celle qui tenait le glaive canonique. Suite à cette perte, Nuada se voit déchu de sa fonction royale et est remplacé par un mauvais successeur nommé Bres. Pour lui permettre de recouvrer son trône, le dieu forgeron Goibne (ou Goibniu) lui forgera une prothèse d’argent que lui greffera le dieu médecin Diancecht. C’est à partir de ce moment qu’on le nommera Nuada Argatlâm (ou Airgeadlamh), ce qui signifie « Nuada à la main d’argent ».
Il présidera finalement à l’heureuse issue de la bataille de Mag Tured et rendra la prospérité à son royaume qui dépérissait sous le règne de l’incapable Bres. C’est à la fin de cette bataille, que Nuada utilisera son épée flamboyante, après avoir passé une nuit avec la Bodbh (=corneille), qui est l’un des noms de la déesse guerrière Morrigane.
Son statut de manchot le dispense pourtant de participer activement au combat : sa présence seule suffit à garantir l’issue favorable de la bataille. Nuada, incarnation du pouvoir royal, politique et militaire, est également juriste, qualité qu’il doit à son statut de manchot ; c’est ce qui permettra aux Tuatha dé Danann de signer un traité de paix avec leurs ennemis Fîr Bolg. Loin de le desservir ou de l’affaiblir, on voit que son infirmité, bien au contraire, le sert, et lui permet d’accéder à un statut supérieur : c’est là le principe de ce que l’on nomme la « mutilation qualifiante ».
Toutefois, l’incarnation du pouvoir royal qu’est Nuada doit s’effacer devant le pouvoir spirituel supérieur, celui incarné par le dieu Lug. Ainsi, lorsque ce dernier se présenta devant la forteresse de Tara en affirmant connaître tous les arts et tous les métiers, Nuada, après avoir été vaincu aux échecs par Lug, le laissa entrer, soulignant que « jamais homme semblable à lui [n’avait] pénétré dans cette forteresse ».
Nuada comprit rapidement que la puissance de Lug lui permettrait de libérer les Tuatha dé Danann du joug des démons Fomoire. Les Tuatha tinrent conseil et furent d’avis que Nuada change de siège avec le jeune guerrier, lui reconnaissant ainsi la préséance sur le pouvoir royal. Lug alla donc s’asseoir sur le trône de Nuada qui se tint devant lui treize jours durant, en signe de respect et de déférence. Voilà comment Lugh Samildanach fut désigné pour mener les Tuatha à la victoire lors de la seconde bataille de Mag Tured.
A noter aussi qu’au Pays de Galles, Nuada apparaît comme le pendant irlandais du Gallois Nudd, que l’on nommera ultérieurement Lludd. Ainsi retrouve-t-on dans la tradition celtique du Pays de Galles, un Llud Llaw Ereint ou Lawarian (=main d’argent).
3. Nodens dans le Necronomicon.
Il convient de le rappeler de manière incessante et insistante aux sceptiques : le Necronomicon est une pure composition de l’auteur H. P. Lovecraft, ce que ce dernier n’a cessé de clamer d’ailleurs envers et contre ceux qui, de son temps déjà, prétendaient que cet ouvrage était bien « le livre maléfique de l’Arabe dément Abdul Al-Hazred » dont Lovecraft aurait entrevu sinon découvert les infernaux secrets…
Les éléments mythologiques repris dans le Necronomicon appartiennent, pour une part, à l’imagination débordante de Lovecraft, et pour une autre part, à des emprunts que l’auteur s’est permis de faire dans différentes mythologies. C’est le cas notamment de Dagôn, dont le nom est également le titre d’un ouvrage de Lovecraft, mais dont l’origine est proche-orientale : ancien dieu phénicien, Dagôn fut, par la suite, démonisé par la Bible, comme tant d’autres divinités païennes. C’est le cas également de Nodens.
Dans la mythologie lovecraftienne, Nodens devient une divinité aux étranges origines arabes, « Abdul Al-Hazred » oblige ! « Bien que de nombreuses créatures bienfaisantes interviennent dans le texte du Necronomicon, seul Nodens –Maître des Profonds Abysses- est réellement nommé. On suppose que la demeure naturelle des dieux anciens se trouve dans une région proche de l’étoile Bételgeuse, dans la constellation d’Orion. Dans le grand almanach des astronomes arabes connu sous le nom de Tables Alphonsines –traduit plus tard en Europe et intitulé Los Libros del saber de Astronomia-, Bételgeuse était citée comme « Al-Mankib » : l’épaule, « Al-Dhira » : le bras, et « Al Yad al-Yamma » : la main droite (du Géant). Notons que Machen fait référence au dieu Nodens dans The Great God Pan, comme un dieu à la main d’argent, reprenant les termes de la désignation arabe ancienne. » (Le Necronomicon, « Le Necronomicon : Commentaire », par Robert Turner, p.95).
Nous le voyons, le détail de la « main d’argent » établit clairement une relation « pan-celtique » entre Nodens et le dieu irlandais Nuada. Les références arabes de Lovecraft n’existent ici que pour les besoins du romanesque et relève exclusivement de l’univers fantastique.
On retrouve effectivement le nom de Nodens dans l’ouvrage de Machen, Le Grand Dieu Pan, mais dans ce cas, la divinité est maintenue dans son contexte celto-romain (ou britto-romain) traditionnel, comme nous allons le voir.
4. Nodens par Machen.
L’auteur évoque la visite d’un musée situé dans une petite ville, près de Caermaen, où sont conservés des vestiges antiques. Parmi eux se trouve un petit pilier carré de pierre blanche, présenté comme « récemment déterré dans le bois de Caermaen », à proximité de l’endroit « où s’élargit la voie romaine ». Sur un des côtés du pilier, on peut lire l’inscription suivante :
DEVOMNODENTi
FLAvIVSSENILISPOSSVit
PROPTERNVPTIAs
qua SVIDITSVBVMBra
Ce qui est traduit par : « Au grand dieu Nodens (le dieu de la grande Profondeur ou de l’Abîme), Flavius a élevé ce pilier en souvenir des noces qu’il a vues s’accomplir dans l’ombre. »
Et nous avons vu qu’effectivement, le nom de ce dieu, était attesté plusieurs fois en deux endroits de l’ancienne île de Bretagne, soit l’actuelle Grande-Bretagne.
La main de Nuada
Eric TIMMERMANS.©
Bruxelles, le 31 août 2010.
Sources : Essai d’un dictionnaire des dieux, héros, mythes et légendes celtes, fascicule 1, Claude Sterckx, 1994 / L’épopée celtique d’Irlande, Jean Markale, Petite Bibliothèque Payot, 1973 / Le Grand Dieu Pan, A. Machen, Emile-Paul frères, Livre de Poche, 1977 (p.131) / Le Necronomicon – « Le livre de l’Arabe dément Abdul al-Hazred », Belfond, 1996 / Les Celtes et l’expansion celtique, Henri Hubert… / Les Celtes – Les dieux oubliés, Marcel Brasseur, Terre de Brume Editions, 1996 (p.106) / Répertoire des dieux gaulois, N. Jufer et Th. Luginbühl, Editions Errance, 2001.