1. La Mandragore, une herbacée bien réelle.
mandragore
officinale
Ce nom vient du grec « Mandragoras », que les anciens Grecs traduisaient par « plante stupéfiante ou soporifique ». Son nom scientifique est Mandragora officinarum. On la nomme également « Herbe de Circé ». En Italie, on la connaît sous le nom de Mandragora ou Mandragola. En allemand, on lui donne le nom d’Alraune ou Albraune. S’il est une plante qui suscite les plus noirs phantasmes depuis des siècles, c’est la Mandragore. Toutes les légendes qui courent à son propos ont finalement fait douter de son existence, alors que cette plante existe bien. C’est une modeste plante herbacée de la famille des Solanacées qui, chaque année, exhibe une courte tige ornée de quelques grandes feuilles brillantes. On la trouve dans les régions du bassin méditerranéen, dans le sud-est européen et en Asie, jusque sur l’Himalaya. Mais c’est plus précisément sa racine qui est à l’origine de la « légende magique » de la Mandragore. Il s’agit d’une racine volumineuse et bifide qui est supposée représenter les deux jambes d’un corps humain. En outre, la Mandragore ne pousse que la nuit et libère certaines toxines (hyoscyamine, atropine, scopolamine) réputées hallucinogènes.
2. Une plante magique « anthropomorphe ».
Mandragores mâle et femelle.
Manuscrit Dioscurides neapolitanus,
Biblioteca Nazionale di
Napoli, début du VIIe siècle.
Vaguement anthropomorphe, donc, la Mandragore est supposée abriter un génie et est réputée posséder des vertus aphrodisiaques et divinatoires très importantes pour les sorcières qui en usent, dit-on, pour voler. D’anciennes gravures représentent la Mandragore sous forme humaine et il fut un temps où on la retrouvait autant dans les herbiers que dans les bestiaires. On dit aussi que cette racine ressemble à un vieil homme ou à une vieille femme de petite taille. Bien qu’elle soit dans sa forme, mâle et femelle, dans les opérations dites « magiques », la Mandragore symbolise toujours l’élément mâle. Cet être diabolique doit en outre, pour être efficace, être choyé et nourri de sang ou de mets recherchés.
3. Une antique plante médicinale.
Bien avant de nourrir les fantasmes magiques et sorciers des sociétés chrétiennes d’Occident, la Mandragore était connue depuis la plus haute antiquité comme plante médicinale. Dans la pharmacopée perse, grecque et romaine, elle était ainsi réputée anesthésique et hypnotique, ses feuilles et ses fleurs contenant un narcotique pouvant être employé comme somnifère, utile pour calmer les hémorroïdes et les maux de dent, notamment. Ceci explique aussi le prétendu « vol des sorcières » favorisé par cette plante… Elle était également connue, pense-t-on, des Egyptiens, qui prêtaient aux fruits de la Mandragore, de couleur blanche et rougeâtre, et de la grosseur d’une noix, des vertus aphrodisiaques, comme nous l’avons déjà souligné. Les Hébreux, par qui elle est nommée Dudaïm ou Fleur d’Amour, la connaissaient également. Ce nom de Dudaïm est d’ailleurs cité dans le Pentateuque. Ainsi a-t-on aussi considéré la Mandragore comme un remède contre la stérilité et la plupart des affections gynécologiques. La Mandragore affectionne plutôt les climats chauds, voire très chauds. Il semble que c’est au début du Moyen Âge, à l’époque des Croisades, que la légende de la Mandragore s’est développée en Occident. Dans nos régions et encore parfois, dit-on, dans nos campagnes, on prête à la Mandragore une multitude de propriétés curatives et autres.
4. Se procurer une Mandragore.
Du point de vue de la légende, la Mandragore poussait au pied des gibets. Celui qui était condamné à la potence était amené nu, jusqu’au lieu de son exécution. Etranglé par la corde de chanvre, la nuque du pendu se rompait et le supplicié éjaculait, répandant sa dernière semence sur le sol. C’est à cet endroit précis que poussait la Mandragore, mâle ou femelle, à la condition, précise certaines sources, que le pendu ait été vierge. Para ailleurs, on nomme aussi la Mandragore « Petit bonhomme de potence ». Le sorcier ou la sorcière s’en venait alors guetter le moment propice pour s’emparer de la plante magique. « Le magicien qui a repéré l’endroit où poussent les mandragores revêt un costume noir et des bijoux de plomb, métal saturnien. Accompagné d’une vierge qui fera au moment venu le sacrifice de sa chevelure et d’un chien noir qui arrachera la plante, il se rend le samedi au pied des gibets et, dans le clair de lune, égorge un hibou ou quelqu’oiseau nocturne. Une fois prononcées les paroles sacramentelles, le chien, d’un violent coup de collier (qui d’ailleurs l’étrangle lui aussi) arrache la plante que le magicien dépouille de ses fruits et ses racines pour lui donner le plus possible l’aspect anthropomorphe. Il dépose ensuite la plante pendant trois jours dans un vase en cristal rempli d’une mystérieuse terre rouge, dont la composition n’est connue que de rares initiés. Ce temps écoulé, la Mandragore respire et on la nourrit quarante jours de plus avec du lait de chatte. » (Flavius Josèphe). Encore fallait-il donc savoir s’y prendre pour la déraciner, car lorsqu’on l’arrache du sol, la Mandragore pour un cri tellement terrible que l’on ne peut y survivre ! « Mais la cueillette de la mandragore était délicate, car lorsqu’on l’arrachait de terre, cette plante magique poussait un cri terrible qui tuait sur place toute créature se trouvant aux alentours. La sorcière devait alors utiliser un subterfuge. De nuit, elle creusait tout autour des racines de la mandragore, afin d’en dégager le pied, puis elle passait une corde à la base de la plante dont elle attachait l’extrémité au cou d’un chien. Elle plaçait ensuite de la nourriture légèrement hors de portée de l’animal et s’en allait s’abriter plus loin, en ayant pris soin de se boucher les oreilles avec de la cire. En tirant sur la corde pour atteindre la nourriture, le chien déracinait la mandragore qui poussait alors son cri, foudroyant l’animal sur le coup. La sorcière n’avait plus qu’à venir s’emparer de la plante magique. Elle la baignait dans du vin puis l’emmaillotait dans de la soie avant de la remiser avec le plus grand soin dans un coffre prévu à cet effet. » (Edouard Brasey) Ces rituels s’inspirent vraisemblablement de superstitions antiques. Ainsi, Pline le Jeune écrivait au sujet de la Mandragore que ceux qui la cueillent « prennent garde de ne pas avoir le vent en face. Ils décrivent trois cercles autour d’elle avec une épée, puis ils l’enlèvent de terre en se tournant du côté du couchant… La racine de cette plante, broyée avec de l’huile rosat et du vin, guérit des inflammations des yeux. » Au contraire, dans certaines croyances populaires, il est dit qu’en arrachant une plante de mandragore de terre on devient aveugle. Paracelse, par contre, conseille d’opérer à la minuit d’un vendredi sous le gibet d’un pendu, et ce, comme nous l’avons déjà vu, accompagné d’un chien noir. Il fallait alors attendre qu’un orage éclate pour déterrer la Mandragore à la lueur des éclairs. Après la cueille, encore faut-il rendre la Mandragore utilisable magiquement. Pour ce faire, on doit la placer un mois dans la fosse d’un cimetière et ensuite la faire sécher au four et l’emmailloter dans un morceau de linceul.
5. Diverses vertus magiques de la Mandragore.
5.1. On prête à la Mandragore la capacité de rendre invisible, de servir de sortilège et, à l’inverse, d’être un talisman contre la sorcellerie.
5.2. On prétend que la Mandragore fait se multiplier l’argent. En France, par exemple, on croyait jadis qu’elle rendait le double de ce qu’elle avait reçu, qu’il s’agisse d’argent ou d’autres biens matériels (deux écus d‘or pour un, deux écuelles de grain pour une, etc.).
5.3. Il est dit aussi que la Mandragore porte chance dans les procès et la guerre, et qu’elle peut conjurer la malchance au jeu.
5.4. On prétend que la possession d’une Mandragore protège la maison de son propriétaire contre le vol, l’incendie et les épidémies.
5.5. Pour qu’elle soit efficace, il faut porter la Mandragore rendue magique sur soi, enveloppée dans un morceau de linceul. Tant qu’on la garde en sa possession, on voit sa chance augmenter.
5.6. Il y a, hélas, toujours un prix à payer à la magie maléfique. Ainsi dit-on que là où se trouve la Mandragore, elle engendre peine et tourment. Son propriétaire est poussé à l’avarice, à la luxure et au crime, et la Mandragore finit par le conduire en Enfer. Quant aux autres habitants de la maison du propriétaire d’une Mandragore, ils sont, quant à eux, poursuivis par le malheur. Mais on dit aussi qu’à la mort de son possesseur, la Mandragore continue à répandre ses vertus sur son plus jeune fils, à condition, toutefois, qu’on ait enterré le défunt avec du pain et de l’argent à portée de main.
6. La Main de Gloire.
On donne aussi parfois à la Mandragore le nom de « main du Diable » ou de « main de Gloire ». Et nous allons voir que de nombreux points communs existent entre cette dernière et la Mandragore : « On choisit la saison d’été parce que le soleil intervient. Il faut avoir un pendu. Les gibets étaient accessibles au temps où l’on pendait les condamnés, car la pendaison se faisait en public et c’était une partie de cette terrible sanction que de laisser le pendu livré aux intempéries, balancé dans le vent et picoré par les oiseaux carnivores. On prélève de ce pendu une main ; parfois le condamné en négociait la vente avant l’exécution. Si l’on a pas de pendu, on prend la main d’un décapité, en soudoyant le bourreau. Mais il faut que ce soit la main d’un condamné. On l’enveloppe dans une toile et on l’enfouit dans un vase de terre avec du salpêtre, du sel et du poivre, après avoir, quand elle était encore souple, replié les doigts sur la paume. Elle doit séjourner deux semaines dans le mélange, puis on l’en retire et on l’expose au soleil. Elle se déssèche en gardant la forme qu’on lui a donnée. Si le soleil ne se montre pas, si on a dû choisir une autre saison que l’été, on peut sécher la main dans un four doux qui aura été chauffé par de la fougère et de la verveine. Entretemps, on aura fabriqué une chandelle avec de la graisse humaine provenant d’un supplicié qu’on se procure près d’un bourreau, de la cire vierge et de l’huile de sésame. On aura placé une mèche dans le milieu de la chandelle. La main séchée est alors fixée par le poignet debout sur un support et la chandelle plantée entre le médius et l’annulaire, comme dans un chandelier. » (La parapsychologie de A à Z, Michèle Curcio, p.177). On dit notamment de la « main de Gloire » qu’elle a le pouvoir d’immobiliser ceux auxquels elle est présentée et de rendre invisible. Là s’arrête la comparaison entre la « main de Gloire » et la Mandragore. A noter encore que le nom de « main du Diable », dont nous venons de voir qu’elle permet parfois de nommer la Mandragore, désigne également une main palmée et couverte de poils roux. Tous les doigts sont égaux en longueur et s’achèvent par des ongles recourbés. Le contact de cette main est, dit-on, glacial comme celui d’un cadavre.
6. Mandragore et supercherie…
Faut-il préciser que la légende de la Mandragore servit les desseins de bien des escrocs ? Ceux-ci savaient, par certaines manipulations, donner à la racine de Mandragore, voire d’autres plantes, la forme anthropomorphe qu’on lui prêtait traditionnellement…
Sources :
-Dictionnaire des superstitions, R. Morel et S. Walter, Marabout, 1972.
-Dictionnaire des superstitions et des croyances populaires, Pierre Canavaggio, Jean Claude Simoën, 1977.
-Dictionnaire des symboles, J. Chevalier et A. Gheerbrant, Robert Laffont / Jupiter, 1982/2004.
-Dictionnaire du Diable, Roland Villeneuve, Omnibus, 1998.
-Dictionnaire du diable, des démons et sorciers, Pierre Ripert, Maxi-Poche Références, 2003.
-Encyclopédie des symboles, Michel Cazenave, Librairie Générale Française, 1996.
-La parapsychologie de A à Z, Michèle Curcio, Marabout, 1989.
-Les chaudrons de Satan, Christian Souris, Quorum, 1996.
La mandragore. Dioscoride de Vienne, VIe siècle
Arrachage d'une mandragore. Manuscrit Tacuinum Sanitatis, Bibliothèque nationale de Vienne, v. 1390.