1. Heimdall le Lumineux.
Le nom de ce dieu nordique signifie « Qui éclaire » ou encore « Qui fait croître le monde ». A noter qu’« en allemand, les mots Heim [maison], Heimat [patrie] et Heimlich [secret] ont la même racine. La forêt est secrète, au sens où elle cache, mais aussi au sens où, en cachant, elle protège. » (Les prochains Titans, Ernst Jünger). On qualifie également Heimdall de Kunnigr (=Savant), Rammr (=Tenace), Rqskr (=Vigoureux), Hallinskidi (=Celui qui a des cornes de bélier) ou encore Gullintanni (=Dents d’or, les dents du dieu étant en or). Heimdall est le dieu de la Lumière et l’organisateur de la société humaine à laquelle il donne ses lois. On dit de Heimdall qu’il a l’ouïe tellement fine, qu’il entend pousser la laine sur le dos des moutons et l’herbe pousser dans les prés. En outre, sa vue est extrêmement perçante : il voit à cent lieues, de jour comme de nuit. Qui plus est, il n’a pratiquement aucun besoin de sommeil, autant de qualités qui en font un gardien émérite. Heimdall est donc le gardien vigilant d’Asgard et le héraut du Ragnarök, la bataille suprême durant laquelle les dieux de ce cycle temporel périront et qui ouvrira la voie à un nouvel Âge d’Or. A noter encore que, dans l’anatomie humaine, la tête est désignée par l’expression l’ « Epée de Heimdall ». Heimdall est un dieu étrange et mystérieux dont on connaît peu de choses, même son lignage est incertain et on ne sait même pas s’il appartient à la catégorie des dieux Ases ou des dieux Vanes.
2. L’Enfant de Neuf Vierges.
Même s’il est parfois dit « fils d’Odin », Heimdall apparaît surtout comme l’ « Enfant de neuf vierges ». Il a effectivement neuf mères, des géantes vierges, toutes sœurs et elles-mêmes filles de neuf sœurs. La conception du dieu n’aurait impliqué aucune intervention masculine, alors que ses mères, elles, sont au nombre de neuf. Ces neuf vierges, que certaines sources assimilent à des vagues de la mer ou encore à des fées ou à des muses, ont pour nom Gialp (=Mugissante), Greip (=Tour de main), Eistla (=Tumultueuse), Eyrgiafa (=Dispensatrice de sable), Ulfrrun (=Rune du loup), Angeyia (=Île étroite), Imd (=la Grise louve), Atla (=Querelleuse) et Iarnsaxa (=Celle qui a un couteau de fer). C’est ce que rapporte la Voluspa Brève dans l’Hyndluliod, soit le « Lai de Hyndla. »
3. Le pont Bifrost
Heimdall garde le pont Bifrost (=le Pont de l’arc-en-ciel, le « Chemin coloré », mais également le « Chemin trompeur » ou l’ « Endroit faible »). Ce pont mène à Asgard, la résidence des dieux, et Heimdall, dont la demeure nommée Himinbiorg (=Château ou Montagnes du ciel), est située à l’extrémité du Ciel et à proximité de la tête du pont Bifrost, le défend contre les attaques des Géants. Seul un homme parvint à franchir ce pont menant vers les dieux. Il portait le nom de Gylfi. Bifrost, que l’on nomme également Asbru, est situé à proximité de l’arbre Ygdrasill et de la source d’Urd ou Urdarbrunn. Bifrost sera détruit lors du Raganarök (ou Crépuscule des dieux), lorsque Surt à l’épée flamboyante, menant l’armée de Muspelheim, tentera d’en forcer le passage.
4. Giallarhorn, la « Corne bruyante ».
Lorsqu’un danger se présente ou pour annoncer la venue des dieux au Valhalla, Heimdall, dont le cheval porte le nom de Gulltop (=Toupet d’Or), souffle dans sa corne d’alarme à laquelle on donne le nom de Giallar ou de Giallarhorn (=la Corne bruyante). Cette corne, Heimdall l’a placée sous la racine d’Ygdrasill et au moment du Ragnarök, il l’utilisera pour appeler les dieux Ases à leur dernière assemblée avant la grande bataille finale.
5. Heimdall contre Loki.
Loki est torturé par le venin d'un serpent qui le touche lorsque sa femme Sigyn ne peut le recueillir. Ses soubresauts de douleurs sont les tremblements de terre (par Mårten Eskil Winge, 1890)
Au cours du Ragnarök, Heimdall et Loki, fils de Farbauti, s’affronteront en combat singulier et finiront par s’entre-tuer. De fait, Heimdall représente le principe de la Lumière et Loki, le principe des Ténèbres. De cet épisode mythique nous ne possédons toutefois que peu de traces, à l’exception d’une strophe importante dans laquelle il est question des deux dieux et qui fut composée vers l’an mil par un poète islandais nommé Ulf Uggason.
Cette strophe « est tirée de la Husdrapa, poème dont Snorri affirme qu’on y trouvait des longs développements sur les querelles qui opposèrent ces dieux, mais dont ne nous sont parvenus que ces vers cryptiques :
Le fameux gardien des routes des dieux, éminent par sa sagesse,
Partit vers Singastein avec le fils rusé de Farbauti.
Cet esprit puissant, enfant de huit mères plus une,
S’appropria le premier le brillant hafnyra. » (R. I. Page)
On reconnaît Heimdall dans le « fameux gardien » et Loki dans le « fils rusé de Farbauti ». « Singastein » et « hafnyra » nous apparaissent plus mystérieux. « Snorri propose néanmoins un élément de réponse dans ses Skaldskaparmal, où l’on peut lire : « Heimdall compta parmi les visteurs de […] Singastein. Ce fut en cette occasion qu’il disputa le Brisingamen à Loki […]. Ils s’étaient travestis en phoques. » (R. I. Page) Les déguisements ou métamorphoses en phoques donnent à penser que Singastein est un îlot rocheux perdu au milieu de l’océan. En outre, le Birsingamen est un collier d’or très précieux ayant appartenu à la déesse Freyia. Ce joyau aurait été fabriqué par quatre nains et pour le posséder, la déesse n’avait pas hésité à coucher avec eux. Toutefois, on ne voit pas le lien avec le « hafnyra » que l’on qualifie de brillant, certes, mais dont le nom (= « reins de la mer ») ne semble avoir aucune relation avec le collier susmentionné.
6. Le Chant de Rig.
Heimdall aurait parcouru le monde sous le nom de Rig, afin de ne pas dévoiler sa véritable identité, « il est dit dans les histoires anciennes que l’un des Ases, celui qui se nomme Heimdall, fit un jour un voyage. Il chemina jusqu’à quelque rivage puis atteignit une ferme où il déclara s’appeler Rig. Or un poème a été composé sur cette histoire » (passage en prose qui introduit les strophes de la Rigsthula, cité par R. I. Page). Il s’agit du « Chant de Rig » ou Rigsmal, également nommé Rigsthula, texte dont la version la plus ancienne nous est connue par un manuscrit de l’Edda de Snorri. Au cours de son voyage, Heimdall rencontra trois couples. Le premier couple, Bisaïeul et Bisaïeule, le reçoive et le dieu passe trois nuits avec l’épouse qui lui donnera un enfant que l’on nommera « Esclave. » Il sera fait de même lors de la rencontre avec Aïeul et Aïeule, le fils engendré recevant le nom de « Paysan libre. » Quant à la rencontre de Heimdall avec le troisième couple, Père et Mère, il en résultera la naissance, dans les mêmes circonstances, d’un fils nommé « Noble. » Heimdall restera avec lui pour l’éduquer jusqu’à ce qu’il devienne roi et crée le Rigsthula, à savoir la Loi qui régit la société nordique. Heimdall apparaît ici clairement dans son rôle d’organisateur de la société humaine, de créateur des classes sociales et de législateur. Le nom de Rig serait à mettre en rapport avec le vieil irlandais rig qui signifie « roi » (rix en gaulois, rex en latin), la Rigsthula traitant elle-même, notamment, des origines de la royauté, comme nous venons de le voir.
Eric TIMMERMANS
Bruxelles, le 19 février 2010.
Sources : Dictionnaire de mythologie et de symbolique nordique et germanique, Robert-Jacques Thibaud, Dervy, 1997 / Encyclopédie de la mythologie, Sequoia, 1962 / Mythes nordiques, R. I. Page, Seuil, 1993.