AMON, LE DIEU CACHE
1. Amon démonisé ?
Issu de la tradition égyptienne, le dieu Amon figure vraisemblablement parmi les divinités qui ont été démonisées par le christianisme (à moins qu’il ne s’agisse d’un autre Amon, Aman ou Hamon). Le nom d’Amon (ou Ammon) figure en tout cas dans la liste des principaux démons, établie par l’Eglise au canon 7 du concile de Braga (560-563), de même que dans le Dictionnaire infernal (1863) de Jacques Collin de Plancy. Ainsi, la référence à Yahweh frappant les premiers-nés d’Egypte dans l’Exode (11 : 4-5) inclurait l’idée de destruction des animaux sacrés, de ces « dieux bêlants » (« …ce Jéhovah qui, dans une nuit, lorsqu’il passa dans sa marche à travers l’Egypte, rendit égaux d’un seul coup ses premiers-nés et ses dieux bêlants. » ) qui seraient une allusion à Zeus-Ammon représenté par un bélier (Le Paradis perdu, I : 459-500, p.56 & notes 29 en page 357) :
« Moïse dit : « Ainsi parle Yahweh : Au milieu de la nuit je passerai au travers de l’Egypte ; et tout premier-né dans le pays d’Egypte mourra, depuis le premier-né de Pharaon assis sur son trône, jusqu’au premier-né de la servante qui est derrière la meule, et tout premier-né du bétail. » (Crampon).
« Alors Moïse dit : « Ainsi parle Yahvé : Vers le milieu de la nuit je parcourrai l’Egypte et tous les premiers-nés mourront dans le pays d’Egypte, aussi bien le premier-né de Pharaon qui doit s’asseoir sur son trône, que le premier-né de la servante qui est derrière la meule, ainsi que tous les premiers-nés du bétail. » (Jérusalem).
En démonologie, il est dit qu’Amon est un grand et puissant marquis de l’Enfer et qu’il commande à quarante légions. Il n’a de l’homme que le corps, sa tête est celle d’un hibou mais sa figure est celle d’un loup, quant à son bec, il laisse entrevoir des dents canines très effilées. Il est également doté d’une queue de serpent. Il crache des flammes. C’est, dit-on, le plus solide des princes démoniaques. Il connaît le passé et l’avenir, et peut réconcilier, s’il le veut, les amis brouillés. Malgré ses fonctions bénéfiques, Amon passe néanmoins pour être un démon dangereux. Tout cela, faut-il le dire, relève de la plus pure fantaisie et diffère grandement de la figure d’Amon telle qu’elle apparaît dans la tradition égyptienne.
2. Zeus-Amon dans le sous-sol de l’Hotel de Ville de Bruxelles.
En outre, selon une légende bruxelloise recueillie par Gérard de Nerval et reproduite par Paul de Saint-Hilaire dans son Histoire secrète de Bruxelles (p.95-96), un architecte du nom de Jean Bornoy fut, au début du 15ème siècle, la victime d’un pacte diabolique. Il avait entamé la construction de l’aile gauche de l’Hôtel de Ville de Bruxelles, mais le terrain s’était révélé peu solide et, par deux fois, l’édifice en construction s’était écroulé. C’est en vain que l’on tenta de combler le trou béant, jusqu’au jour où notre architecte se décida à faire appel au Diable… A partir de ce jour, l’édifice s’éleva avec facilité et les travaux aboutirent bientôt à leur terme. Quant à Jean Bornoy, il mourut le jour même de l’achèvement desdits travaux. Ce n’est qu’ensuite que l’on apprit le terrible pacte qu’il avait signé avec le Diable… On appela en urgence l’évêque de Cambrai pour faire bénir l’édifice qui, sur le coup, s’effondra à nouveau ! Dans le fond du gouffre créé par l’effondrement de l’édifice, on découvrit une colossale tête antique de bronze, ornée de cornes portant encore des traces de dorure et dans laquelle on crut reconnaître le Diable sous les traits de Zeus-Amon… Il est dit que c’est cette tête qui fut ensuite appliquée au corps du démon que terrasse saint Michel sur la flèche de l’Hôtel de Ville de Bruxelles, du moins était-ce peut-être le cas avant les nombreuses restaurations dont cette œuvre fit l’objet depuis !
3. Amon, dieu d’Egypte.
3.1. Amon le Caché.
Il est pour le moins difficile de retrouver sous les étranges descriptions démoniaques que l’on en donne, le dieu égyptien, et non des moindres, qu’était Amon à l’origine : ce fut le dieu le plus longuement vénéré en Egypte. Avouons d’ailleurs que l’assimilation du démon Amon avec le dieu égyptien nous paraît quelque peu hasardeuse. Amon était la Divinité Suprême et Universelle cachée de l’Egypte ancienne. Son nom même signifie « le Caché. » Ce nom viendrait du berbère « aman » qui signifie « eau », ce qui permet peut-être, comme nous l’avons dit, d’établir un parallèle avec le nom d’Aman, un démon qui intervient dans l’affaire des Ursulines de Loudun (ou « affaire Urbain Grandier », 1632-1634); cela relève toutefois en grande partie de la spéculation.
3.2. Amon hellénisé et romanisé.
Amon fut assimilé à Zeus par les Grecs et à Jupiter par les Romains. On connaît d’ailleurs un Jupiter-Amon ou, si l’on préfère, un Zeus-Amon (auquel fut assimilé Alexandre le Grand divinisé) qui avait une tête humaine et des cornes de bélier. Son temple était situé dans l’oasis de Siouah (ou Siwa), dans le désert libyen. Ce sanctuaire, vraisemblablement très ancien (sans doute est-ce là que prit naissance le culte d’Amon, en tant que divinité de l’eau ; un temple oraculaire de l’Amon égyptien y a en tout cas été bâti très tôt), fut visité, en –331, par Alexandre le Grand que les prêtres accueillirent comme le fils d’Amon. Le temple de Siouah, s’il connut un net déclin à l’époque romaine, demeura en activité jusqu’au 6e, voire au 7e siècle. Amon fut ainsi vénéré plus longtemps qu’Isis à Philae et fut donc le dernier dieu égyptien à résister au christianisme, il est même possible qu’il n’ait disparu qu’avec l’arrivée de l’islam.
3.3. Le culte d’Amon.
On connaît nombre de temples dédiés à Amon : Abou Simbel, Karnak, Louxor, Edfou, Dendérah, Abydos… Le dieu égyptien Amon est peu attesté aux époques anciennes et ses origines restent obscures. Sans doute était-il déjà vénéré sur les bords du Nil bien avant le développement de Thèbes. Amon accéda au titre de roi et de « père des pères » de tous les dieux, pour rayonner, deux mille années durant, dans le gigantesque temple de Karnak. C’est là, de même qu’à Siouah, qu’Amon délivrait ses oracles. C’est donc sous la 12e dynastie (-2000 à –1788) que le culte d’Amon va véritablement se développer sous l’impulsion des Amenemhat. Il devient alors le dieu souverain de Thèbes, dont la parèdre est Mout (qui finira même par régner sur le clergé d’Amon) et le fils, Khonsou. Ces trois divinités forment la triade thébaine. La tentative d’Akhénaton (Aménophis IV, -1358 à –1347) d’établir le culte d’Aton, en lieu et place de celui d’Amon, ne sera qu’une initiative sans lendemain, Toutankhamon ayant renoué par la suite avec le culte d’Amon et ce dès son accession au trône à l’âge de…9 ans. L’ensemble des possessions d’Amon finira par constituer un Etat dans l’Etat, géré par un puissant clergé. Les Grands Pontifes d’Amon ont même régné parallèlement aux rois pendant la 21e dynastie (-1090 à –945).
3.4. Visualisation.
3.4.1. Bien loin des étranges descriptions qu’en ont faites les démonologues chrétiens, le dieu Amon se reconnaît par sa couronne surmontée de deux hautes plumes de faucon symétriques, divisées en sept segments. Ces plumes symbolisent le caractère solaire du dieu. Son menton est orné d’une barbe postiche.
3.4.2. Amon est généralement de couleur bleue, détail qui pourrait se rapporter à une éventuelle ancienne fonction de « dieu du ciel ». C’est également la couleur de la pierre précieuse lapis-lazuli.
3.4.3. On représente aussi Amon debout ou assis sur un trône, tenant le sceptre et l’ankh, les deux attributs du pouvoir et de la vie.
3.4.4. On le représente aussi souvent avec une tête de bélier dotée de cornes recourbées. Le bélier est d’ailleurs l’un des animaux sacrés d’Amon, avec l’oie et le serpent.
3.4.5. En outre, après avoir assimilé les attributs fécondants du dieu Min, Amon put également être représenté sous une forme ithyphallique.
3.4.6. Amon assuma aussi les pouvoirs du dieu guerrier Montou, de même que ceux du dieu-soleil Rê.
Eric TIMMERMANS
Bruxelles, le 8 février 2010.
Sources : Dictionnaire du Diable, Roland Villeneuve, Omnibus, 1998 / Dictionnaire du diable, des démons et sorciers, Pierre Ripert, Maxi-Poche Références, 2003 / Dictionnaire historique de l’Egypte, Pierre Norma, Maxi-Poche Références, 2003 / Dieux et déesses de l’ancienne Egypte, Musées Royaux d’Art et d’Histoire, Bruxelles, 1994 / Encyclopédie de la mythologie, Sequoia, 1962 / Grand dictionnaire des symboles et des mythes, Nadia Julien, Marabout, 1998 / Histoire secrète de Bruxelles, Paul de Saint-Hilaire, Albin Michel, 1981 / L’Ange déchu, M. Centini, Editions de Vecchi, 2004 / Le Paradis perdu, John Milton, NRF/Gallimard, 1995 / Le Prince de ce monde, Nahema-Nephtys et Anubis, Editions Savoir pour Être, 1993 / Livre des superstitions (mythes, croyances et légendes), Eloïse Mozzani, Robert Laffont, Coll. « Bouquins », 1995 / Petit dictionnaire des dieux égyptiens, Alain Blottière, Zulma, 2000.